Tunisie – Gouvernement en difficulté et tensions à l’approche du 15 juillet

Les événements s’accélèrent en Tunisie à l’approche de la date fatidique du vendredi 15. Le gouvernement de transition de Béji Caïd Essebsi doit faire face à plusieurs fronts depuis quelques jours. Un regain de tension qui, comme on va le voir, ne doit probablement rien au hasard.

A l’origine du pourrissement de la situation actuelle, il y a ce qu’on appelle le « Iitissam Al  Massir » (sit-in du Destin), sorte de délocalisation des sit-in de la Kasbah dans une 4ème édition depuis la révolution. Cette fois, le camping permanent se fait Place des Droits de l’Homme à Tunis (le nom du lieu est honni de ses occupants). Si tous les observateurs s’accordent à dire que les deux premiers furent légitimes et eurent d’ailleurs gain de cause, c’est en revanche un secret de polichinelle que des agitateurs plus extrêmes, voire putschistes, noyautent les 3ème et 4ème sit-in. Ils poursuivent des objectifs aussi douteux que prétextes à une anarchie qu’ils appellent de leurs vœux pour des raisons peu avouables. Ainsi donc, et comme le veut la désormais tradition d’islamisation de la contestation venue du Golfe, les leaders du sit-in ont décidé  que ce vendredi serait le jour d’une marche irrésistible vers la Place du Gouvernement pour réoccuper la Kasbah, d’où l’appellation « Vendredi du Retour ».

Une surenchère rhétorique et gratuite

Malgré le prétendu apolitisme des patriotes autoproclamés du « Massir », lors de notre couverture de la marche contre l’extrémisme religieux de jeudi dernier, nous avions déjà pu comprendre de quel type de militants il s’agissait. En effet, arrivés à la hauteur de leurs tentes à mi-chemin de l’Avenue Mohamed V, ceux-ci se déchaînèrent en conspuant une marche visiblement pas du tout à leur goût. Les insultes fusent unilatéralement de leur bord du trottoir, et on a même frôlé un lynchage en règle si ce n’était le nombre supérieur des manifestants laïques et le cordon de sécurité formé par les forces de l’ordre. « Vendus », « sionistes », « RCD », « mécréants » étaient quelques-unes des amabilités lancées par ces militants étonnamment furieux, brandissant des drapeaux palestiniens et taxant les anti intégristes de contre-révolutionnaires. Au final, nous eûmes droit à un spectacle typique des contre-manifestations universelles d’extrême droite, mêmes gesticulations, même véhémence nationaliste, populiste et anti-laïque.

Les événements qui suivirent confirment ce constat. Voici qu’il y a quelques jours, le groupuscule violent Takriz refait parler de lui au travers d’une tribune donnée par le site Tunivisions à ses leaders terroristes anonymes cagoulés expatriés en Angleterre mais de retour en Tunisie depuis peu vraisemblablement pour faire du grabuge vendredi. Ce groupe, allié à l’ex communiste Jalel Brick, est traversé par un mélange d’idéologies d’extrême droite et d’extrême gauche anarchiste, est faussement anti islamiste. Il refuse l’emploi du terme « islamisme » du reste et se dispute le leadership de l’extrême droite aux « antis » plus religieux.

Enfin, désormais véritable baromètre de la contestation, voici que la région traditionnellement frondeuse du bassin minier de Gafsa s’embrase à son tour hier. Des affrontements d’une rare violence sont partis d’une rixe ordinaire d’après des témoignages, et ont dégénéré en affrontements avec la police et l’armée dont les renforts sur place achèvent de stresser des forces de l’ordre dispersées aux quatre coins du pays.

Il n’en fallait pas plus pour Rached Ghanouchi de sortir de son silence dans la même journée d’hier dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux. Il y entend surfer sur les récents  évènements en Egypte et récupérer ce qu’il qualifie de mécontentement généralisé face à l’inaction du gouvernement sur les vieux dossiers des snipers pré révolution. Il y fait aussi preuve d’impatience face aux quelques incidents isolés signalés ici et là dans les bureaux d’inscription aux listes électorales ouvertes il y a peine 72 heures (essentiellement des pannes techniques). Un aveu implicite de la part du chef islamiste de soutien, si ce n’est d’initiation, de la marche de demain qui se veut jusqu’au-boutiste, pour renverser le gouvernement de transition sans attendre les 3 mois qui restent avant les élections. De quoi convaincre les plus sceptiques que le leader d’Ennahdha reste fidèle à lui-même dans ses méthodes de négociation, la tendance réformiste au sein de son parti étant minoritaire et ne suffisant pas à contenir les velléités radicales du numéro 1.

Réaction du gouvernement, entre fermeté et maladresses

Ayant visiblement retenu la leçon des débordements des mois précédents, et conformément à ce qu’avait promis Béji Caïd Essebsi concernant la tolérance 0 désormais avec tout sit-in paralysant le pays en phase transitoire critique, l’encerclement de la Place de la Kasbah a été ordonné dès hier. Un important dispositif militaire et policier a été vu en train de se déployer au petit matin aux abords de la place en prévision de tout rassemblement avant l’heure.

Mohamed Lazhar Akremi, le nouveau ministre délégué auprès du ministre l’Intérieur chargé des réformes, nouvel homme fort du ministère, a lui déclaré sans détours sur la TV nationale : « La loi sera appliquée contre les putschistes« .

De son côté, la chaîne Al Jazeera a continué de faire une couverture pour le moins orientée de l’escalade des tensions, en imputant celles-ci à ce que la chaîne appelle les tentatives de normalisation sioniste du gouvernement actuel.

C’est là l’un des griefs récurrents qui empoisonnent le débat politique en Tunisie. Après l’inscription controversée de la « lutte anti sioniste » dans le Pacte républicain, la nomination d’un ex représentant d’une mission diplomatique tunisien en Israël au poste de secrétaire d’état au ministère des Affaires étrangères au dernier remaniement, a été perçue comme une provocation de la part des identitaires décidément obsédés par la question palestinienne. Tollé, sur le mode théories du complot, au sein de l’Instance de la réalisation des objectifs de la révolution qui recevait hier le Premier ministre et attendait de lui qu’il s’en explique.

Enième rebondissement, à la sortie de sa réunion houleuse avec l’instance, durant laquelle il a suspecté « des mains étrangères d’être derrière le sit-in de vendredi », celui-ci a commis la maladresse d’arracher son micro à une journaliste de la TV nationale qu’il suspecte de biais. Une image paternaliste et autoritaire qui passe en boucle sur le web et les médias depuis et dont ce gouvernement n’avait sans doute pas besoin à la veille d’un sit-in en mal de prétextes.

S.S.