TUNISIE – Exclusif : nouvelles révélations de Samir Seriati en marge du prochain procès de son père

Fils aîné d’Ali Seriati, ex chef de la sécurité présidentielle de Ben Ali, Samir Seriati, jeune commandant de bord à Nouvelair, est parti en croisade au lendemain de l’arrestation de son père quelques heures après la fuite du président déchu. Il se démène depuis pour se faire le porte-parole d’un père dont il est convaincu de l’innocence. La justice lui a déjà partiellement donné raison le 12 août dernier, en acquittant Ali Seriati dans l’important procès dit de l’aéroport Tunis-Carthage, faute de preuves s’agissant de la fabrication de faux passeports. Mais il n’en démord pas : restent en effet d’autres chefs d’accusation relevant du complot contre la sûreté de l’Etat.

Révolté d’être désormais seul mis en cause dans un complot qui par définition nécessite l’implication de parties tierces, s’estimant être un bouc émissaire donné en pâture pour distraire une opinion qui demande toujours des comptes, le général Seriati était montré au créneau il y a quelques jours en menaçant de « tout balancer » sur ce qu’il sait du dossier des événements, toujours entourés d’une part d’ombre, ayant scellé le sort de la révolution tunisienne le jour du 14 janvier.

Interviewé hier par Le Courrier de l’Atlas, c’est Samir Seriati qui sort à nouveau de son silence pour livrer un avant-goût des nouvelles révélations selon lui explosives que son père réserve pour sa prochaine audience prévue pour la mi-septembre, au cas où le juge d’instruction estime recevables les nouvelles plaintes relevant de la juridiction militaire.

Celui qui s’était réfugié dans la cave d’un ami deux semaines durant, fuyant les conséquences de diverses intox médiatiques autour du rôle présumé de son père dans la fuite de l’ex président ainsi que du chaos sécuritaire qui s’en était suivi, décide de témoigner toujours à visage couvert pour l’instant, jusqu’à la fin des ennuis judiciaires de son père « qui sera blanchi » espère-t-il, lui le militaire de carrière, « homme de mission aux ordres ».

Ridha Grira au cœur d’un règlement de comptes ?

Ainsi, il devance ce dernier qu’il voit chaque vendredi pour une demi-heure, distillant quelques fuites d’une enquête toujours en cours. Premier élément inédit de taille, la version de Ridha Grira, ex ministre de la Défense ayant fait arrêter son père, semble s’effriter désormais un peu plus : elle ne résisterait plus à l’épreuve de la récente vérification par les autorités judiciaires des données d’archives du système de communications américain SatCom.

Grira avait déclaré dans une première interview n’avoir été contacté par Ben Ali par téléphone satellite qu’une seule fois et que la voix de celui-ci était « inaudible ». D’après les avocats de Seriati ayant eu accès au dossier, les enquêteurs ayant interrogé l’ex ministre l’auraient mis devant les contradictions de son récit, une fois établi le fait qu’il a reçu 3 appels téléphoniques dont le dernier avait même été effectué 1 heure et 45 minutes après le décollage de l’avion présidentiel.

Si cela tend à corroborer la thèse d’un Grira resté loyal à un Ben Ali dont il exécutait toujours les ordres directs bien après les 10 minutes initialement évoquées par l’intéressé, le fils Seriati va encore plus loin dans son interprétation de ces présumés éléments nouveaux.

Selon lui, que Grira ait agi unilatéralement ou pas en procédant à une « arrestation illégale », ne doit pas faire oublier les ambitions de l’homme qui aurait cherché à se prévaloir d’une image faussement héroïque d’une part, et de s’assurer d’autre part de sa propre disculpation, en se déchargeant de toutes ses responsabilités sur un coupable facile et tout désigné.

Samir Sériati en veut pour preuve qu’ « une campagne de diffamation a été savamment orchestrée par Grira au gré de ses déclarations médiatiques » qui accablaient chaque fois un peu plus son père (évocation de la perception d’importantes sommes d’argent de la part de Ben Ali, accusations d’exagération volontaire de Seriati du danger qu’avaient représenté pour la sécurité du président deux hélicoptères et un zodiac de l’armée en simple mission de reconnaissance près du Palais, etc.)

Avant de conclure l’entretien, nous interrogeons le jeune pilote sur la possibilité que l’ordre de tirer à balles réelles sur la foule soit passé par son père, en tant que coordinateur des forces armées à l’époque des faits (armée, unités spéciales et forces de police). Pour lui il ne fait aucun doute qu’un tel ordre « n’a pu être donné que par la personne de Ben Ali à son ministre de l’Intérieur », le chef de la sûreté présidentielle n’ayant pas les prérogatives nécessaires, même en qualité de coordinateur, pour prendre une telle initiative. Mais peut-être, en tant que coordinateur justement, de la relayer ? Sériati s’est toujours fait le messager des décisions présidentielles…

Au final, il ressort de l’entretien d’une demi-heure une certaine fixation autour de la personnalité finalement peu connue de Ridha Grira et de son rôle éventuel. Potentiellement contre-productive, cette stratégie peut faire penser à un règlement de comptes où chacun tenterait de sauver sa peau en incriminant l’autre dans une guerre intestine, par fuites judiciaires interposées.

Quant à Samir Seriati, il espère seulement que les juges ne seront pas influencés par la pression de la rue, craignant qu’une justice équitable ne cède la place à une « justice populaire », dans un imbroglio aux ramifications décidément complexes.

Seif Soudani

 

Vidéo de l’interview ici.

Note : Un câble diplomatique US révélé par Wikileaks dans la même journée d’hier dimanche titré « Wikileaks – Remaniement du 14 janvier 2010 : Quand Grira l’Influent remplace Morjane le Pro-Occidental », explique que « lors de l’exercice de sa fonction précédente, Grira aurait eu accès à des informations sensibles concernant les finances et les avoirs des familles de Ben Ali et de la Première Dame, qui ont bénéficié des acquisitions du gouvernement et d’autres terrains. De telles informations sont étroitement surveillées et la nomination de Grira en tant que Ministre de la Défense suggère qu’il reste influent et bien vu aux plus hauts niveaux du gouvernement ».