Tunisie. Exclusif. Lazhar Akremi : « La nouvelle donne sécuritaire requiert l’emploi de la force »
Hier vendredi s’est tenue la 3ème séance plénière de questions au gouvernement à l’Assemblée constituante, dans une ambiance particulièrement délétère. A l’ordre du jour : la situation sécuritaire du pays et l’évaluation du bilan du gouvernement Jebali au terme de 100 jours de gouvernance. Nous avons voulu recueillir l’opinion d’un expert de la question sécuritaire en Tunisie à propos du même bilan. Lazhar Akremi, ex ministre délégué chargé de la réforme des forces de l’ordre, nous livre un éclairage avisé et sans langue de bois. (Photo LCDA)
En matière de sécurité, Lazhar Akremi est un enfant du sérail. Il véhicule volontiers une image d’homme à poigne qui, malgré sa formation de juriste, avait convaincu Béji Caïd Essebsi qu’il était l’homme de la situation pour mener à bien la difficile mission de la réforme sécuritaire en période électorale, au cœur du ministère de l’Intérieur.
Homme de l’ombre pour le grand public, il joua un rôle clé dans la pacification de la première phase de la transition démocratique. Après les élections, il revient sur le devant de la scène d’abord au travers d’une série de conférences sur la sécurité aux quatre coins de la Tunisie, parfois chahutées selon lui par des jeunes d’Ennahdha.
Mais il signe son véritable retour en politique en apparaissant aux côtés de Béji Caïd Essebsi lors du meeting populaire à succès du 24 mars dernier à Monastir.
C’est un homme inquiet que nous retrouvons aujourd’hui, frustré de voir son plan sécuritaire, véritable feuille de route, ignoré par ses successeurs. « Des armes de guerre circulent en Tunisie », et selon lui, l’actuelle crise du secteur aurait pu être évitée si son livre blanc de la sécurité n’avait pas été rejeté par excès d’orgueil des dirigeants islamistes, nous confie-t-il.
« Nous allons au-devant d’une période de troubles, potentiellement violente, qui nécessitera un redéploiement et une confrontation armée avec les nouvelles menaces qui sont d’ordre terroriste », prévient-il, évoquant la menace salafiste.
Ainsi, il estime que les 12 000 nouvelles recrues, qui ont porté à 70 000 les effectifs des forces de l’ordre sous sa direction, ne sont plus suffisantes pour faire face à un péril d’une nature inédite en Tunisie.
« Il faut former une nouvelle brigade d’élite de 5 000 hommes », préconise Akremi. L’homme sait de quoi il parle lorsqu’il évoque la nécessité de les former aussi aux techniques de survie, lui qui a donné 6 ans de sa vie à la résistance armée dans les rangs du Fatah en Palestine, après des études de droit en Syrie dans les années 70.
« Ennahdha veut s’assurer du résultat des prochaines élections »
Revenant sur le récent remaniement tous azimuts au sein du corps des gouverneurs, il accuse sans détours les responsables d’Ennahdha d’avoir procédé à des nominations partisanes et politiciennes en vue de garantir un climat propice à un hold up électoral aux prochaines législatives. « Les pratiques de l’ex RCD ont la peau dure », ironise-t-il à ce sujet.
Nous lui demandons si en participant quant à lui à une forme de culte de la personnalité autour de la figure de Béji Caïd Essebsi, il ne craint pas de contribuer au retour programmé de l’autoritarisme, lui-même facilité par la consécration du nationalisme en tant qu’alternative au projet de société islamo-conservateur.
Lazhar Akremi récuse l’idée de nationalisme et préfère parler de particularité tunisienne liée à l’esprit bourguibiste. Converti au modernisme bourguibiste après avoir été un jeune opposant aux destouriens, il est convaincu aujourd’hui que tant que survivra l’héritage de Bourguiba, la Tunisie restera à l’abri de la talibanisation et des projets rétrogrades.
Propos recueillis par Seif Soudani