Tunisie. Exclusif. Constituante : l’alternative Ben Achour pour surmonter les blocages

 Tunisie. Exclusif. Constituante : l’alternative Ben Achour pour surmonter les blocages

Le constitutionaliste Yadh Ben Achour

Le tout premier vote du texte proposé par Ennahdha et ses alliés à l’Assemblée constituante (AC) s’est soldé par un échec (12 votes contre, 9 votes pour, et 1 abstention). Il concernait l’article 5, relatif à l’organisation provisoire des pouvoirs. Le texte proposé traitait en l’occurrence de la majorité nécessaire pour adopter la future Constitution. Alors que la perspective d’un accord au sein de l’une des deux commissions concernées s’éloigne, une autre option alternative, plus consensuelle, se précise : celle que l’on appelle déjà la proposition du comité Ben Achour. Le Courrier de l’Atlas en a pris connaissance en début de semaine.

Pour comprendre les raisons du revers cinglant subi par la troïka (Ennahdha – CPR – Ettakatol) lors de sa première proposition de texte de loi, il faut d’abord comprendre le mécanisme qui a présidé au vote d’hier mardi 29 novembre.

Deux commissions ont été formées au lendemain de la séance inaugurale de la nouvelle Assemblée, au niveau desquelles ont lieu les votes préliminaires en interne, avant d’être soumis à l’ensemble des élus.

Ces commissions compétentes présentent des rapports de force qui ne reflètent pas les forces en présence à l’AC : elles se veulent consensualistes et rassemblent des élus de formations minoritaires peu représentées à l’AC, comme le PDP et Afek.

Une coalition déjà mise en difficulté

C’est la commission chargée de ce que l’on appelle l’organisation provisoire des pouvoirs publics qui, en votant hier, a failli faire voler en éclat la nouvelle coalition de la majorité à l’Assemblée.

Nous avons en effet appris que des membres du CPR ont exprimé leurs réticences face à un texte que nous savions déjà potentiellement controversé. En cause : plusieurs points qui font polémique depuis les premières fuites distillées dans la presse.

Le plus inquiétant d’entre eux est le nombre de pouvoirs que le texte confère au futur chef de gouvernement. Qualifiés d’absolus et réduisant de fait les prérogatives du prochain président de la République, ils ont eu pour effet de fissurer une alliance que l’on dit déjà fragile entre Jebali et Marzouki, respectivement virtuels Premier ministre et président par intérim.

Autre point problématique, une atteinte à la séparation des pouvoirs, le texte prévoyant que le président de l’Assemblée constituante soit aussi le chef du Haut conseil de la magistrature. Une concentration des pouvoirs faisant craindre une dérive autoritaire et un conflit d’intérêt rappelant l’ère autocratique de Ben Ali.

Mais c’est la majorité nécessaire à l’adoption de la future Constitution qui aura sans doute le plus divisé. Sur ce point relevant du règlement intérieur de l’AC, Le juriste Jawher Ben Mbarek avait été le premier à prévenir : pour jouir d’une légitimité maximale, une Constitution, surtout dans ses articles les plus cruciaux, doit pouvoir bénéficier du consensus le plus large possible, celui d’au moins deux tiers des voix. Or, le texte en question prévoit un scénario selon lequel, en cas d’échec d’un vote aux deux tiers, la constitution pourrait être votée selon une petite majorité dite des « 50 + 1 ».

Ajoutez à cela une absence totale de la mention d’une éventuelle soumission de la constitution à un référendum populaire, et vous obtenez l’opinion révoltée qui s’indigne massivement en Tunisie depuis hier soir.

La réaction de la société civile n’a pas tardé : une manifestation de quelques milliers de personnes est prévue aujourd’hui même devant l’Assemblée pour s’indigner de ce qu’elle considère comme une tentation despotique qui se dessine. Très vigilants contre tout abus en ce sens depuis la révolution, les Tunisiens ont donc décidé d’agir en amont en se mobilisant pour maintenir la pression.

L’alternative Ben Achour se précise

Comme s’il avait pressenti cette crise, le constitutionaliste Yadh Ben Achour, déjà aux commandes de la transition démocratique depuis des mois via son ex Haute Instance révolutionnaire, n’a en réalité jamais cessé de travailler en coulisses.

Une base de travail devait bien être soumise aux nouveaux élus par des spécialistes en droit constitutionnel notamment. Pour ce faire, il a discrètement rassemblé 16 experts qu’il a mis à contribution chacun dans son domaine de prédilection.

L’un des plus éminents d’entre eux est Chafik Sarsar. L’homme connait son affaire : spécialiste en droit public et ex membre de l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, il nous a révélé quelques points clés des propositions de son équipe. Des propositions en passe de faire l’unanimité, car plus réalistes et plus universalistes à la fois que le texte dit d’Ennahdha.

L’homme s’est toutefois montré plutôt conciliant et a voulu rassurer : pour lui, il n’y a pas lieu de parler de prémices d’une dictature d’Assemblée. Il reste confiant sur le fait que l’actuelle Assemblée respectera son engagement de faire prévaloir son rôle constitutionnaliste sur le rôle politique.

Il prévient malgré tout que si elle se met à vouloir légiférer sur des questions allant au-delà des lois organiques, le risque d’une prolongation de son mandat reste élevé.

Seif Soudani