Tunisie. Exclusif. Augmentations salariales des élus : Salma Baccar : « C’est un scandale ! »
C’est l’affaire qui n’en finit plus de secouer la classe politique en Tunisie ces dernières 48 heures. En passant d’un peu plus de 2 000dt à plus de 4 000dt, la rémunération mensuelle des 217 élus de l’Assemblée nationale constituante choque les Tunisiens. Qualifiée unanimement d’indécente, cette auto-augmentation est-elle est une faute morale et politique collective ? L’élue de gauche Salma Baccar réagit au micro du Courrier de l’Atlas.
« Les élus seront rémunérés officiellement à hauteur de 4 200 dinars par mois : cela inclura désormais les primes de logement et de déplacement ». C’est ce qu’a annoncé mardi Héla Hammi, élue d’Ennahdha et vice-présidente de la commission chargée de la gestion générale et du contrôle de l’exécution du budget de l’Assemblée, pensant mettre fin à une polémique naissante.
C’est que les spéculations allaient bon train dès que les premières informations avaient commencé à filtrer en début de semaine sur une éventuelle augmentation conséquente des salaires des élus. Lundi, on apprenait de source officieuse que Mustapha Ben Jaâfar avait donné son aval via sa signature, juste avant de partir en visite officielle en Afrique du Sud.
Dans les médias, la mesure est présentée par ses partisans comme « une économie ». Restée en suspens depuis le début des travaux de la Constituante, la question du logement et du transport des élus venant de l’intérieur du pays demeurait problématique. L’hôtel reviendrait en effet plus cher au contribuable que les deux primes en question. « La facture était salée », nous confirme-t-on à l’ANC.
Salma Baccar : « J’ai honte d’être associée à tout ça »
C’est surtout la méthode qui choque l’artiste cinéaste Salma Baccar qui nous a reçus chez elle ce jeudi matin, dans son fief électoral de la banlieue sud de Tunis.
« Je proteste surtout contre la manière. Les séances plénières pour annoncer des mesures souvent populistes se font devant les caméras. Quand il s’est agi de ces augmentations, cela s’est fait à huis clos ».
L’élue de l’ex PDM était en déplacement à Kasserine le jour où ses confrères se sont réunis pour s’auto augmenter, en décideurs souverains juges et partis. Depuis, les accusations fusent. Extrême gauche et élus d’Ennahdha s’accusant mutuellement d’avoir été les instigateurs de l’idée.
« C’est déjà un honneur de siéger à l’Assemblée. Nous n’avons pas été élus pour améliorer nos propres conditions de vie mais celles du peuple. Il s’agit d’une démarche militante et les élus de Tunis et ses proches banlieues n’ont logiquement pas droit à ces indemnités », répond Baccar qui révèle que la même Héla Hammi a prétexté « la nécessité d’élever le niveau de vie de certains élus vivant dans des quartiers populaires », pour justifier les primes qu’on leur accorde.
Est-il possible de faire machine arrière ?
Oui, selon Salma Baccar. « Je pense que nous avons suffisamment dénoncé cela pour que ça ne se fasse pas. Il ne s’agit pas de refuser à titre personnel mais de faire prendre conscience à tout le monde que nous sommes là pour servir le peuple et non pas servir nos intérêts », souligne l’élue qui nous apprend avant de nous quitter qu’elle ne compte pas se présenter aux prochaines élections.
Coup de théâtre mardi. Le personnel du ministère des Finances n’a pas attendu et a agi unilatéralement. Le traitement et le virement des salaires des élus de l’Assemblée nationale constituante ont d’ores et déjà été bloqués à son niveau.
Un membre du personnel précise que les fonctionnaires en question entendaient ainsi protester contre une année blanche en termes d’augmentations salariales dans la fonction publique, combinée à l’injustice de ces émoluments à l’ANC.
Intervenant dans le contexte du débat sur les indemnisations des anciens prisonniers politiques d’une part, et du retard pris dans la rédaction de la Constitution d’autre part, ces augmentations envoient un signal dévastateur en termes d’image pour l’ensemble de la classe politique.
Particulièrement pour la troïka au pouvoir, de plus en plus perçue comme soignant son train de vie au détriment du peuple, après une révolution, dans un pays subissant de plein fouet la crise, et au moment où en France présidence et gouvernement ont montré l’exemple en amputant d’emblée d’un tiers leurs salaires.
Seif Soudani