Tunisie – Enquête : au cœur de la pré-campagne, le parcours du combattant des militants


Une police politique est-elle en train de renaître en Tunisie ? C’est la question que se posent nombre de dirigeants et de militants de divers partis politiques depuis quelques temps, eux qui semblent penser qu’on leur met sciemment des bâtons dans les roues.

A sa demande, nous avons suivi pendant 3 jours le parcours plein d’embûches d’une militante d’Afek Tounes qui nous avait alertés sur le fait que les autorités locales l’ont empêchée de tenir un simple stand de présentation du parti et qui depuis est « baladée de service en service », entre préfecture de police et autorités locales.

Il est 11h lorsque des policiers en civil interviennent dans un quartier d’affaires de Tunis le 22 août dernier pour démonter manu militari un stand dans lequel la militante en question s’était beaucoup investie en temps et en moyens. Pourtant, elle nous assure, documents à l’appui, qu’elle a déposé 3 jours auparavant une demande en bonne et due forme au gouvernorat de Tunis, qui requiert d’être informé à l’avance de toute activité politique.

Qui décide de quoi en la matière ? Pour en avoir le cœur net, nous accompagnons la militante qui désire rester anonyme dans son périple dès qu’elle obtient un rendez-vous, vendredi 26, avec un délégué aux affaires politiques au siège du gouvernorat. Après avoir été témoins de quelques coups de fils expéditifs, nous comprenons vite que c’est au niveau du ministère de l’Intérieur que cela bloque.

Sur un ton amical mais embarrassé, le responsable nous confie que depuis les derniers événements du 15 août dernier et les violentes émeutes qui s’en étaient suivies, le gouvernement de transition, dont la mission principale est la réussite des prochaines élections,  a décidé de durcir sa position en interdisant jusqu’à l’échéance du 23 octobre quasiment toute initiative politique sur la voie publique désormais, marches, manifestations, stands, événements confondus…

Il conseille à l’intéressée de ne pas « passer en force », même s’il avoue qu’elle peut théoriquement le faire si le stand est improvisé, installé « à la sauvette », et échappe à la vigilance de la police.

On apprend aussi dans le même bureau que depuis le 16 août, un décret ministériel émis par le ministre de l’Intérieur confère des prérogatives élargies aux forces de l’ordre : dorénavant, si celles-ci « estiment ou ont des raisons de penser que la sécurité publique est menacée, elles peuvent intervenir pour interdire toute activité politique, en utilisant la force si nécessaire ».

Double discours et délit de faciès ?

Discret telle une note interne circulant entre services dépendant du ministère, ce décret, en laissant la libre appréciation au cas par cas aux agents de la police, pose le problème d’une marge de manœuvre trop grande et d’agissements « selon la tête du client ». En effet, la militante n’a pas manqué de nous faire remarquer que le lendemain-même un autre grand parti était autorisé à tenir un stand bien plus imposant et également en plein air dans le non moins huppé quartier du Manar.

Ni l’argument de la vulnérabilité du quartier d’affaires ni celui du supposé danger pour l’ordre public potentiellement causé par le parti Afek ne semblent donc valides pour la militante déçue, qui trouve les autorités bienveillantes avec certains et hostiles avec d’autres.

Devant son insistance, notre interlocuteur responsable des affaires politiques, lui aussi sous couvert d’anonymat, finit par nous avouer que le problème est ailleurs. « Libéraux, modernistes et progressistes rappellent hélas à certains riverains et aux partis de l’extrême gauche et de l’extrême droite religieuse l’ex régime, à tort. » Ces derniers ayant, nous assure-t-il, engagé des fauteurs de trouble ayant sévi récemment dans la capitale, en empêchant tout rassemblement non encadré qui ne serait pas à leur goût, pourraient prendre son stand pour cible. « Or, nous ne voulons prendre aucun risque, et vous devriez être reconnaissante que je ne vous trimbale pas davantage entre administrations » conclut-il.

En somme au pire il s’agit d’une dérive sécuritaire, au mieux c’est les procédés du chantage et de l’intimidation qui ont gagné, de fait.

Toujours pas convaincue, elle souligne que par ailleurs, quelques jours plus tard, les services municipaux et ceux de la police s’affairaient toujours à encadrer des manifestations culturelles et religieuses qui auront accaparé tout l’espace publique de la zone durant le mois du ramadan.

Quoi qu’il en soit, il est préoccupant qu’à moins de deux mois d’élections d’une importance historique pour le pays, de constater ce qui semble être le retour à de vieux réflexes autoritaires d’avant révolution. En considérant toute activité politique comme de l’opposition au gouvernement, et prétextant une menace sécuritaire diffuse et /ou supposée, on empêche les Tunisiens de suffisamment connaître les partis politiques en lice.

L’ISIE vient en outre de déclarer son intention de mettre hors la loi toute publicité politique dans l’espace public dès le 12 septembre prochain. C’est le gouvernement qui répartira l’espace publicitaire sur les différents partis à compter de cette date. Ce qui laisse encore à peine 12 jours de pré-campagne aux partis politiques plus inquiets que jamais des conséquences d’un anonymat qui à ce stade les condamne déjà à des coalitions forcées. En attendant, l’immobilisme fait le jeu des extrêmes, des marchands de voix, ainsi que des plus grosses formations déjà connues du public.

S.S.