Tunisie : Ennahdha soigne sa com’
Après le PDP, c’était au tour du parti islamiste Ennahdha de convier les médias nationaux et internationaux à un meeting jeudi matin pour dévoiler en grande pompe sa nouvelle identité visuelle autour d’une grande opération séduction. Ainsi, la salle de conférences de l’hôtel L’international de Tunis, Avenue Bourguiba (tout un symbole !), était-elle comble, et les agents d’accueil du parti aux petits soins avec les journalistes, le secrétaire général du parti Hamadi Jebali qui dirigeait les débats étant visiblement soucieux d’éviter toute fausse note.
« N’ayez pas peur ! »
C’est donc là ce qui semblait être le mot d’ordre de leaders tout sourire, même si de l’aveu des plus incrédules parmi l’audience, c’est exactement l’inverse que l’on entendait à l’écoute de ce leit motiv rhétorique. Pour ce faire, Rached Ghannouchi, incarnant sans doute le passé, a donc été laissé sur le banc de touche. Et première surprise de taille, fait rarissime pour qui connaît le parti, ayant vraisemblablement à cœur de se rattraper de la maladresse de son récent spot publicitaire qui avait brillé par une totale absence de la gent féminine (spot déjà parodié ici), on découvrit à la table des conférenciers une jeune inconnue, sans voile, au look même sciemment décomplexé, branché et moderne.
Gage de bonne foi donné en direction des plus sceptiques quant aux réformes en cours ou coup médiatique, un journaliste n’a pas manqué de se prêter, dès que l’occasion s’est présentée, au jeu des questions réponses autour de la mystérieuse jeune femme. Réponse bien orchestrée de M. Jebali : « Voyez ? C’est là le signe que notre parti est ouvert à tout le monde, les jeunes les premiers : nous considérons que l’aspect vestimentaire relève des libertés individuelles, telle est notre position à ce sujet ».
Pour en revenir au cœur de la présentation elle-même, après une longue introduction à propos de l’historique du mouvement, son évolution, et son nouveau credo : « Liberté Justice Développement » qui est non sans rappeler celui de l’AKP turque (parti islamiste du la Justice et du Développement dont Ennahdha ne cesse de se réclamer depuis le 14 janvier comme pour prouver sa nouvelle doctrine placée sous le signe de la modération), un nouveau logo fut révélé selon un procédé du teasing bien rodé et dans l’air du temps, digne des campagnes marketing les plus modernes.
Deux faits marquants en ressortent : la reprise d’abord de la couleur violette, une réappropriation selon Jebali des couleurs initiales du mouvement que lui aurait volé le régime déchu de Ben Ali il y a quelques années. L’abandon ensuite du livre figurant dans l’ancien logo, symbolisant le Coran dont découlerait l’idéologie du parti, et prêtant ainsi le flanc aux critiques des détracteurs du parti le fustigeant pour n’être pas conforme à la loi des partis en vigueur en Tunisie, qui interdit pour un parti politique de s’appuyer ouvertement sur une religion.
Détail amusant, des applications iPhone et iPad ont même été dévoilées, signe d’un certain embourgeoisement d’un parti souvent perçu comme populiste. « Le progrès technologique au service du conservatisme ! » osa lancer un autre journaliste à une audience amusée.
Faire cavalier seul, une stratégie sûre de ses moyens
Enfin, même s’il avait clairement indiqué en début de la séance de questions qu’il ne souhaitait pas s’exprimer sur des sujets politiques, la politique n’étant pas à l’ordre du jour, le numéro 2 du parti ne résista pas néanmoins au fait de céder à l’esquisse d’une réponse à une question brûlante et réitérée à plusieurs reprises, portant sur les raisons du départ définitif d’Ennahdha de la CISROR (Conseil de l’Instance pour la Réalisation des Objectifs de la Révolution). Il se livra alors à une tirade sur un ton irrité, expliquant que le conseil n’ayant aucune légitimité populaire, il n’avait pas le droit selon lui de parler de report des élections de l’Assemblée Constituante sans consulter son parti, la consigne initiale étant le consensus entre les partis y participant.
Pour autant, claquer ainsi la porte est déjà considéré par beaucoup comme un geste avant-goût du style de gouvernance Ennahdha confronté à un test miniature de coalition gouvernementale (possible scénario à l’avenir pour le pays) : fort de sa popularité qui le propulse en tête des intentions de vote, le parti entend jouer dans la cour des grands et peser de tout son poids dans toutes les grandes décisions à venir. Pour lui, c’était donc tout ou rien pour cette fois, une posture davantage caractéristique des extrêmes, et qui laisse surtout dubitatif quant aux bonnes intentions affichées de réforme et de modération.
S.S.