Tunisie – Elections. Peu de candidates en tête de liste L’association Egalité et Parité sonne l’alarme

La parité homme / femme n’est-elle finalement qu’un vœu pieux ? C’est la question que se pose l’association Egalité et Parité à la veille du pic du dépôt de candidatures pour la Constituante en cours depuis le 1er septembre. A l’avant-garde de la lutte pour l’égalité entre les sexes en Tunisie, l’association a été l’un des acteurs majeurs du lobbying auprès des législateurs.

Ceux-ci avaient dû amender en urgence le code électoral régissant des élections historiques pour le pays, en y inscrivant l’obligation d’une parfaite parité dans les listes électorales (l’article 16 du décret-loi relatif à l’élection de l’Assemblée nationale constituante prévoit que toutes les listes doivent impérativement être paritaires et faire figurer en alternance des candidats masculins et féminins).

Or, cet amendement ne garantissait en rien que l’Assemblée obtenue au final soit paritaire, puisqu’il ne contraint pas les partis à ce que 50% de leurs listes aient des têtes de liste de sexe féminin. Malgré tout, les militantes féministes que nous avons rencontrées vendredi soir ne s’attendaient pas à une débâcle d’une telle ampleur de la présence féminine en tête des listes. Alarmées par ce qu’elles découvraient au fur et à mesure des échos reçus à propos de la constitution des listes, elles ont décidé de convoquer une réunion de crise, certes informelle, mais qui a étudié de façon productive différentes stratégies de contournement de cet état de fait, celui de l’évincement à dessein ou non des femmes d’une présence électoralement significative.

La rencontre avait lieu à Carthage, dans une galerie d’art gracieusement mise à leur disposition par l’artiste peintre  Souheil Bouden, en présence de Faïza Zouaoui Skandrani membre fondatrice d’Egalité et Parité. Particulièrement engagée et se disant ouvertement « catastrophée par la situation actuelle », elle a déploré le fait qu’une grande formation  progressiste telle que le PDP ne présente au final que deux femmes têtes de listes sur ses 27 listes déjà constituées…

Par ailleurs, même si ses listes ne sont pas encore complètement constituées, qu’une coalition comme celle du PDM (Pôle Démocratique Moderniste) n’ait pour l’instant que 5 femmes têtes de listes sur les 17 annoncées et escomptées, à 5 jours de la fin des délais de dépôt de candidatures, est tout aussi préoccupant, insiste la militante.

Pire, ce sont finalement les partis les plus conservateurs et d’extrême droite (Ennahdha et les partis nationalistes furent en outre cités) qui seraient en passe de prendre tout le monde de court en présentant quant à elles le plus de femmes éligibles, laissant ironiquement augurer d’une parité politicienne de façade, décorative et démagogique, à défaut d’être portée par des idéaux réellement féministes.

Après avoir dressé un état des lieux qui prête au pessimisme, des débats très constructifs ont tenté de comprendre les sources du problème : comment et pourquoi en est-on arrivé à une telle impasse « dans le pays du CSP » (Code du Statut Personnel) ?

Plusieurs éléments de réponse furent avancés dont ceux qui tiennent d’abord aux femmes elles-mêmes : le relatif désintérêt du fait politique, aussi inattendu et inexpliqué que celui des jeunes qui furent à peine 30% à s’inscrire sur les listes d’électeurs. Plusieurs décennies de règne sans partage d’un parti unique auraient découragé certaines franges sociales plus que d’autres.

Ceux ensuite ayant trait au fléau d’une misogynie diffuse et d’un sexisme encore bien présents dans la société tunisienne selon les témoignages de plusieurs intervenantes. Celles-ci ont dénoncé le manque de sensibilisation et de pédagogie de la parité au sein des partis ayant péché par attentisme depuis le début de la précampagne, voire « un dénigrement, du harcèlement et des critiques systématiques » des femmes politiques dans les médias et au sein-même des partis.

Tout n’est pas encore joué, et si « on a tout fait pour exclure les femmes de la Constituante » selon Skandrani, des solutions furent débattues telles que le boycott des partis rechignant à encourager la présence de femmes en tête de leurs listes, au prétexte que c’est la logique électorale de popularité des candidatures qui dicte leurs choix. Autre sujet de débat, le salut pourrait venir des listes indépendantes, celles où se trouveraient le plus de sang neuf et d’idées novatrices, contrairement aux vieux partis politiques aux pratiques sclérosées et aux « dinosaures » faisant de la résistance.

Rien n’est moins sûr pour d’autres participants qui affichent une méfiance à l’égard de listes indépendantes dont l’idéologie et les orientations sont souvent difficilement identifiables, faisant de leur multiplication une partie du problème et non de la solution. En attendant, le temps presse et en matière de parité effective, les indicateurs laissent présager du pire.

Seif Soudani