Tunisie – Elections : Les cafouillages de l’ISIE provoquent colère et frustration chez les Tunisiens
Après un processus électoral unanimement salué comme net et sans bavure, une série d’étonnants cafouillages de la part de l’ISIE est en passe de gâcher la fête démocratique avec le report incessant de l’annonce des résultats définitifs. L’incompréhension prévaut parmi les observateurs locaux et internationaux, les médias et les citoyens.
C’est l’Arlésienne du moment ! Voilà 3 jours que les Tunisiens attendent les résultats complets et définitifs des élections de l’Assemblée Constituante, guettent les moindres communiqués de l’Instance Supérieure Indépendante des Elections qui rythment leur quotidien, rivés à leurs postes de télévision. Mais leur patience touche à son terme au bout de 4 reports consécutifs en 72 heures.
Censés être initialement rendus publics sous 24 heures après le début des dépouillements le 23 octobre, Kamel Jandoubi explique très vite, dès lundi soir, que la proclamation des résultats sera finalement faite mardi. Un premier report avec lequel tout le monde est plutôt indulgent au vu du taux de participation record dépassant toutes les attentes, mais un premier report qui désorganise déjà le planning des médias internationaux dont la plupart ont installé des studios provisoires dans l’enceinte même de nombreux hôtels de la capitale. Quand les réservations le permettent, la programmation doit être chamboulée, les invités censés commenter les résultats en sont réduits à spéculer. Beaucoup de médias étrangers doivent regagner leurs pays d’origine avec un goût d’inachevé et l’impression d’avoir couvert un non-évènement.
Quant aux journalistes locaux, nous en avons rencontré un grand nombre au Palais des Congrès, tous dépités mais résignés à attendre les prochaines apparitions médiatiques des responsables de l’ISIE à l’intérieur de l’imposant bâtiment. Le stress ambiant a donc logiquement causé une houleuse conférence de presse mercredi soir où Jandoubi a dû user d’un grand sens de la diplomatie pour calmer les journalistes. La séance questions a tourné au réquisitoire et aux demandes véhémentes d’explication.
Jeudi matin, 4 jours après le vote, nous en sommes encore réduits à n’analyser que des résultats partiels, n’intégrant la déterminante région du Grand Tunis qu’à partir d’hier soir. Ennahdha arrivant aussi largement en tête dans les circonscriptions de Tunis 2 et Manouba, respectivement avec 3 sièges sur 8 et 3 sièges sur 7, il est désormais établi que le reste des résultats n’affectera pas de manière significative les résultats globaux. Pour autant, les atermoiements de l’ISIE ne seront sans doute pas sans conséquences.
Un processus électoral entaché, théories du complot, et prémices d’une fronde populaire
Ces reports à répétition commencent à sérieusement entacher le processus de l’après-vote qui est loin d’être terminé. Restent en effet pas moins de 13 circonscriptions dont les résultats tardent encore à venir ainsi que la réunion finale du comité central de l’ISIE qui doit entériner les résultats définitifs.
Diverses causes du retard ont été avancées de sources fiables et commencent à filtrer. Elles sont généralement d’ordre technique et tiennent du manque d’expérience : devant le succès populaire du jour J dimanche, l’on oublierait presque qu’il s’agit là de la toute première organisation d’élections libres dans cette région du monde. C’est ainsi qu’un procès-verbal a été mis à l’intérieur d’une urne à Tunis, que le décompte des voix a dû être redémarré dans plusieurs circonscriptions pour non concordance entre différents bilans, et que l’ISIE se plaint d’être assailli par une quantité de réclamations et de plaintes nécessitant examen immédiat et entravant le bon déroulement de son travail.
Il n’en fallait pas plus pour alimenter les premières théories du complot. Il n’est pas rare dans la rue d’entendre que tout ceci est dû à un état de panique généralisée « en haut lieu » devant les premiers résultats d’Ennahdha, ou encore que « quelque chose se prépare » allant jusqu’à évoquer une annulation du scrutin, notamment à cause de la très controversée liste indépendante opaque du millionnaire populiste Hechmi Hamdi, la Pétition Populaire, qui obtient des scores aussi importants qu’inattendus.
C’est notamment les résultats de cette liste qu’une foule compacte et déterminée de plusieurs centaines de personnes est venue dénoncer mercredi soir devant le Palais des Congrès, criant à la fraude électorale et fustigeant l’ISIE et le gouvernement provisoire pour leur inaction. Un mouvement populaire spontané qui précise à chaque prise de parole qu’il ne consiste pas en de mauvais perdants du jeu démocratique, mais simplement en des citoyens inquiets de se faire confisquer leur révolution et qui ne comptent pas en rester là.
Seif Soudani