Tunisie – « Doustourna » séduit l’intellectuelle engagée Caroline Fourest

 Tunisie – « Doustourna » séduit l’intellectuelle engagée Caroline Fourest

Caroline Fourest et Jaouher Ben Mbarek

En visite en Tunisie, Caroline Fourest a été séduite par les propositions de la liste indépendante « Doustourna ». Le courrier de l’Atlas a suivi l’intellectuelle dans ses rencontres.

En visite éclair en Tunisie, l’intellectuelle et essayiste française Caroline Fourset désirait venir sonder sur le terrain la situation d’une Tunisie vers qui sont braqués les yeux du monde entier. Trois semaines séparent le pays d’une élection historique de la Constituante qui donnera le la aux autres révolutions ayant succédé à celle du Jasmin. Nous l’avons suivie dans ses diverses rencontres effectuées à un rythme effréné avec des personnalités de la société civile, des  militants et blogueurs et autres personnalités politiques. Une série de rencontres qui a fini, comme par décantation, par lui faire croiser la route de la campagne électorale de Jawher Ben Mbarek pour la liste indépendante Doustourna, seule liste électorale (partis et indépendants confondus) à avoir eu assez de courage et d’audace révolutionnaire pour proposer une alternative à l’article 1 de l’ancienne constitution (rejointe en cela il y a quelques jours à peine par le Pôle Démocratique Moderniste).

Fourest, incontournable intellectuelle engagée

Dans son avant-dernier ouvrage « La Dernière Utopie », sous-titré « Menaces contre l’universalisme », Caroline Fourest mettait déjà en garde contre la résurgence des essentialismes et des souverainismes, ainsi qu’un certain retour du culte des identités, le tout en réaction à une mondialisation rampante, mal maîtrisée et qui inquiète. Des identités « grossières », souvent religieuses, qui réunissent autour de ce qui nous divise plutôt que ce qui nous rassemble, en boudant les valeurs des droits de l’homme et des idéaux universalistes, ceux-là mêmes qui furent levées en slogans lors de la révolution tunisienne.

Fin décembre 2010, l’intellectuelle qui est aussi éditorialiste au Monde publiait un texte où elle insistait sur la nature profondément politique de ce qui lui apparaissait d’emblée comme allant bien au-delà de simples mouvements sociaux. Agacée ensuite par la première position qu’elle trouve « indéfendable » du gouvernement Sarkozy vis-à-vis des soulèvements populaires réclamant une démocratie réelle, elle tenait par ailleurs à venir assurer les Tunisiens que cette position, même passagère, ne représente pas la majorité des français. Encore moins la plupart de ses collègues journalistes qui se sont enthousiasmés pour cet élan révolutionnaire dès la première heure.

En tant qu’universaliste enfin, militante laïque et féministe, la table rase constitutionnelle qu’implique la rédaction d’une nouvelle loi fondamentale ne pouvait que susciter son intérêt. Son travail de journalisme d’investigation la mène rapidement sur les traces de l’unique initiative proposant de toucher au sacrosaint article 1 de l’ex constitution qui, même devenue caduque, continue de susciter des velléités conservatrices de la part de la quasi-totalité des partis politiques au sujet de son préambule : « La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, sa religion est l’Islam… ».

« Doustourna », une liste réellement révolutionnaire

Au terme d’une visite de 3 jours à Tunis, Caroline nous livrait son sentiment à la fois d’optimisme et de vigilance à propos de cette démocratie en devenir qu’est la Tunisie post révolution. Elle dit cependant avoir changé d’avis après avoir entendu les uns et les autres concernant le débat sur la laïcité et la place de ce mot dans la future constitution. « Engager un bras de fer sur la nécessité de faire figurer la mention Etat laïque peut donner l’occasion aux forces islamistes, mieux structurées, d’imposer au final leur vision des choses, eux qui affectionnent les bombes sémantiques à retardement », prévient-elle.

Samedi 1er octobre, nous apprenons qu’un meeting de la liste Doustourna a lieu à la Marsa. Portée par le charismatique jeune juriste Jawher Ben Mbarek, cette liste indépendante fait partie de celles qui sont les plus actives sur le terrain qu’elle sillonne déjà depuis le premier jour du coup d’envoi de la campagne officielle.

Nous décidons d’aller à la rencontre de Ben Mbarek. Ce dernier a répondu à nos questions et à celles de Caroline Fourest à propos de sa proposition qui nous semble être un compromis intelligent, désamorçant la polémique et neutralisant les divergences entre l’intransigeance des militants laïques et celle de l’ensemble des listes, même de gauche, unanimes pour ne pas vouloir amender ce fameux article 1, souvent par frilosité et électoralisme.

Celui-ci nous explique que « l’article 1 est censé être tombé en désuétude avec l’ancienne Constitution 1959 » et qu’aujourd’hui, « aucun aspect de la nouvelle Constitution à élaborer ne doit être sacré, non négociable ou supérieur à la volonté du peuple ». C’est pourquoi Doustourna (littéralement « Notre Constitution ») propose les 3 premiers articles suivants :

1- La Tunisie est une république unitaire, souveraine, son régime est démocratique pluraliste et décentralisé fondé sur la séparation des pouvoirs. Il ne peut y avoir aucune révision de la Constitution qui ait pour effet la remise en cause directe ou indirecte du régime républicain.

  1. 2- Le peuple tunisien est un peuple enraciné dans son histoire, d’appartenance arabo-musulmane et ouvert à toutes les civilisations et valeurs humaines. La république tunisienne œuvre pour la réalisation de l’unité maghrébine démocratique et pour la complémentarité entre les peuples de l’Afrique du Nord et la coopération avec tous les pays du monde. Elle soutient tous les peuples dans leurs luttes pour leur libération, contre le colonialisme, l’occupation et le racisme et particulièrement la lutte du  peuple palestinien.

  1. 3- La langue officielle des institutions publiques est la langue arabe.

En découpant ainsi en 3 points distincts l’ancien préambule, cette proposition axe opportunément le premier point de la Constitution sur la nature de l’Etat, son régime et ses institutions, en reléguant la question identitaire, véritable nœud du problème, en seconde place. « Le peuple tunisien n’a pas besoin d’une loi qui lui dise quelle est son identité », ironise Jawher Ben Mbarek, très applaudi chaque fois qu’il a présenté ce projet qui semble emporter l’adhésion de la plupart des Tunisiens.

Seif Soudani