Tunisie. Deux Tunisiens condamnés à 7 ans de prison pour «blasphème»
Le Tribunal de première instance de Mahdia a rendu le 28 mars dernier un jugement qui fait polémique sur les réseaux sociaux et met en émoi une partie de la société civile. Deux hommes y sont condamnés chacun à 7 ans et 6 mois de prison ferme et 1200 dinars d’amende (600 euros), après que des locaux aient alerté les pouvoirs publics sur la diffusion par les deux accusés d’un texte jugé blasphématoire sur l’islam.
Jabeur Mejri et Ghazi Béji ont fait l’objet d’une plainte collective déposée par des habitants de la petite ville côtière de Mahdia le 2 mars 2012. Motif, ils ont diffusé dans les réseaux sociaux des écrits que le procès-verbal décrit comme portant « atteinte à l’ordre public », « transgressant la morale », et causant « préjudice à un tiers », tel que le stipule une copie du document original du jugement que nous avons pu nous procurer (voir traduction française).
Le premier a fait l’objet d’une comparution immédiate, tandis que le deuxième est en fuite. Cela avait été annoncé discrètement par Shems FM en début de semaine, puis silence radio dans les médias, mis à part quelques blogs tunisiens et marocains qui ont traité de l’affaire.
Une sanction déguisée de l’apostasie ?
Les chefs d’accusation étant plutôt vagues et la sanction paraissant démesurée et particulièrement sévère, nous avons mené l’enquête pour en savoir plus.
Nous apprenons auprès de la communauté athée tunisienne que l’écrit incriminé s’intitule « L’illusion de l’islam » et que son auteur est l’un des deux prévenus qui le signe de son nom : Ghazi Béji. Pour eux, la sanction a été pensée pour être exemplaire à l’égard de l’athéisme.
Par solidarité, plusieurs membres de la communauté diffusent à leur tour sur Facebook le document au format « pdf ». Il s’agit d’un petit roman satirique et potache, contenant notamment des caricatures du prophète.
Réaction prompte de la société civile
Très réactive, la Ligue des Humanistes Tunisiens est la première à réagir publiquement sur sa page officielle, en dénonçant le retour des procès politiques sous couvert de défense du sacré. Elle met en rapport le jugement avec le récent procès du Saoudien Hamza Kashghari suite à un tweet, et fait valoir que la diffusion s’est faite sur un espace privé.
Des sources proches du dossier nous indiquent que RSF, Human Rights Watch, Index on Censorship ainsi que divers médias occidentaux ont été alertés.
Les mêmes sources déplorent un climat de frilosité ambiante, permettant que soit passé sous silence un tel évènement, de crainte d’en faire un nouveau procès Nadia El Fani ou Persépolis, deux symboles impopulaires de l’irréligion auprès de larges franges de la population.
Contactée à son tour, l’avocate Bochra Bel Haj Hmida devrait se charger de la défense en appel, a-t-on appris dans la journée de mardi.
« Choquée », l’intellectuelle Raja Ben Slama se demande « jusqu’à quand des vies de jeunes citoyens vont être brisées à cause de leurs opinions, même après la révolution ».
Les lois en vertu desquelles les jeunes internautes ont été jugés n’étaient que rarement appliquées dans l’ère Ben Ali, essentiellement dans les procès d’opposants politiques.
La nouvelle Constitution tunisienne étant en cours de rédaction (elle est censée garantir la liberté de conscience), on pouvait penser que toute législation ayant trait à la place de la religion dans l’Etat et la justice était virtuellement en suspens, voire caduque.
Le livre de Ghazi Béji peut certes choquer les croyants. Mais il semble qu’en Tunisie, des juges agissent de plus en plus sous la pression populaire, sur des dossiers où la notion de blasphème peut être demain plus subjective encore à établir, et d’autant plus facilement instrumentalisée.
Seif Soudani
Pétition contre les délits d’opinion, suite à l’affaire des condamnés pour blasphème de Mahdia :
http://www.gopetition.com/