Tunisie, démission de Slim Amamou Eloge du devoir de réserve
Elles ne sont sans doute pas encore terminées, tant leurs ramifications sont grandes et leurs conséquences interminables, que nous pouvons déjà tirer les premiers enseignements communs aux deux affaires qui respectivement ont mis fin à la carrière politique de l’ex ministre de l’intérieur tunisien Farhat Rajhi et initié un début de polémique faisant suite à la démission hier de l’ex secrétaire d’État à la jeunesse et aux sports, Slim Amamou. Dans un cas comme dans l’autre, les deux hommes auront à n’en pas douter cruellement manqué au devoir de réserve.
En 1983, Jean-Pierre Chevènement lança, en démissionnant, son célèbre « Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l’ouvrir, ça démissionne ! », sur le ton du franc-parler qu’on lui connaît. Ce qui a depuis valeur d’adage en politique, Rajhi l’a appris à ses dépens en se voyant limoger de ses fonctions au Haut comité des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, suite à des déclarations jugées irresponsables qui secouèrent le pays au début du mois.
Beaucoup plus jeune, mais déjà mieux inspiré, le cyberactiviste entré au gouvernement au lendemain de la révolution, Slim Amamou, attendit quant à lui de démissionner, suite au report probable des élections de la constituante annoncé hier, pour parler. Pour autant, certains de ses propos lors de l’interview qu’il donna à Express FM quelques instants seulement après sa démission, mais dont une partie fut visiblement retirée à sa demande, n’en sont pas moins problématiques.
En effet, même si la véracité de la partie la plus grave en termes d’irresponsabilité et de conspirationnisme des propos confirmant « l’existence d’un gouvernement de l’ombre » venait à être infirmée, qu’un commis de l’Etat parle de censure à propos de la décision de justice du tribunal militaire permanent de Tunis de suspendre des pages internet appelant, objectivement, à la violence et au terrorisme, demeure lourd de conséquence pour la stabilité du pays, l’homme étant notamment influent dans la blogosphère tunisienne et au-delà, en tant qu’une des icônes de la révolution du 14 janvier.
Le background et la cyber culture auxquels appartient Slim Amamou peuvent expliquer cette prise de position que d’aucuns ont jugé partisane. Le jeune patron de PME informatique fut en effet très actif en période pré révolutionnaire dans les milieux libertaires militant pour une absolue transparence à la manière de Wikileaks, impliqué dans une certaine culture du « piratage citoyen » pour la bonne cause, prôné par une génération de justiciers du net en guerre contre toute forme de régulation du web par les autorités gouvernementales de par le monde. Ce qui le poussa par exemple en outre à condamner, alors qu’il était encore techniquement en poste, en des termes peu nuancés, l’action, assez banale et de routine pourtant, des autorités américaines menée hier contre des sites de piraterie : « In the mean time US gov. is still censoring our Internet », pouvait-on lire sur son compte Twitter qu’il n’a cessé d’alimenter durant son court mandat, selon le même souci de transparence, parfois compréhensible mais controversé dès lors qu’il est érigé en doctrine, pouvant biaiser le débat.
Confronté aux dilemmes de la gouvernance, l’ex activiste désireux de retrouver sa liberté de parole, ne put donc résister à l’appel de son exercice de prédilection, à l’évidence incompatible avec ses fonctions, le report des élections apparaissant donc comme un probable prétexte et non la cause réelle de cette démission d’ailleurs voulue de longue date selon l’aveu de Slim lui-même.
Cela pose au final, une fois encore, la question des profils ministrables, le gouvernement provisoire étant à l’évidence en train de réaliser un peu tard qu’il gagnerait à investiguer plus rigoureusement le passé des ministrables avant leur nomination, lâché qu’il est aujourd’hui tour à tour par l’un de ses ministres les plus populaires jadis, et son soutien principal auprès de la communauté internet, au moment où il a pourtant plus que jamais besoin de légitimité, menacé par un nouvel embrasement résultant du très impopulaire probable report des élections du 24 juillet.