Tunisie – Ces mégalomanes qui veulent devenir Président de la République

Ils sont ambitieux, le plus souvent autodidactes, versent volontiers dans diverses formes de populisme et n’appartiennent pas à la classe politique traditionnelle. Ce sont les nouveaux aspirants à la présidence de la République en Tunisie. Mégalomanes  atteints de la folie des grandeurs, ou simples opportunistes cherchant à occuper le devant de la scène et combler un vide politique bien réel dans le pays depuis la révolution du 14 janvier, une chose est sûre : ils sont de plus en plus nombreux, comme par effet d’émulation. Des candidatures toujours plus insolites mais qui méritent que l’on s’y attarde au travers de trois itinéraires et autant de personnalités controversées, qu’un passage plus ou moins prolongé par l’étranger, dénominateur commun entre elles, a semble-t-il fini par leur faire perdre le sens des réalités.

Larbi Nasra, le magnat des médias

Au rythme auquel les chefs de partis se bousculent désormais à sa porte (notamment ceux du parti islamiste Ennahdha reçus en grande pompe pour des pourparlers début juin dans les locaux d’Hannibal TV), on est tenté de croire qu’Hannibal, nom du général carthaginois que Lzrbi Nasra a donné à sa chaîne privée, n’est autre qu’une référence métaphorique autoproclamée, sorte d’appropriation sur le mode narcissique d’une figure historique par « le fondateur de la chaîne », comme Nasra aime à se faire appeler.  C’est que le riche magnat self-made de la TV tunisienne qui traîne une tenace, invérifiable et sulfureuse réputation d’ex trafiquant d’armes, ne rate pas une occasion de rappeler qu’il est revenu de son périple d’ex entrepreneur à l’étranger avec une fortune de 14 millions de dinars (plus de 7 millions d’euros), qu’il a réinvestie dans son pays d’origine.

Dernière lubie du charismatique homme d’affaires qui n’a pas échappée aux spectateurs réguliers de sa chaîne, la surprenante mobilisation manu militari de ses employés pour promouvoir dans leurs émissions respectives ce qui ressemble de plus en plus explicitement à une campagne électorale prématurée, en vue des prochaines présidentielles. Ainsi, selon le vieil adage « charité bien ordonnée commence par soi-même », le plébiscite non sans rappeler un certain style que l’on croyait révolu dans la Tunisie post Ben Ali, passe par la mise en avant constante de celui dont le fils était un gendre des Trabelsi, omniprésent qu’il soit filmé en train d’accomplir des œuvres de charité ou encore de construire des mosquées, acclamé par les foules, ne cachant pas son ambition de vouloir être un président champion des causes populaires, à commencer par flatter instincts identitaires et religieux, lui dont le projet initial en 2008 avait été de fonder une télévision islamique, la feue « Ferdaous ».

Tarek Makki, l’inusable « youtuber »

Pour beaucoup surgi de nulle part, dès 2007, dans le milieu à l’époque relativement confidentiel des opposants à Ben Ali, Tarek Makki se démarqua par la méthode choisie du cyber activisme au travers de vidéos sur diverses plateformes de partage vidéo dont Youtube et Dailymotion, où son style à la fois véhément, profane et satirique, faisant la part belle au langage argotique dialectal tunisien, lui a valu un certain succès auprès de tunisiens étouffés par une implacable censure. Très vite, et avant même que l’on connaisse son background politique ni son passé (mis à part une évidente influence bourguibiste dans la forme), le vidéaste commence à parler alors depuis Montréal (sa ville refuge depuis 2004) de Deuxième République, histoire de donner forme à sa volonté de rupture totale avec la Constitution en vigueur, ayant subi trop d’amendements sur-mesure à son goût pour la dictature pour ne pas être de facto caduque.

Selon la même surenchère en termes d’effets d’annonce, ce qui ne devait être qu’un syndicat d’entrepreneurs, fondé à son retour précipité par la révolution, devient un parti politique baptisé Mouvement de la deuxième république, légalisé le 30 mai dernier. Et peu importe l’existence simplement administrative d’un tel parti en l’absence de toute assise populaire, le politicien du web continue son bonhomme de chemin, visiblement persuadé qu’en multipliant les coups d’éclat, en bon client des plateaux télé, les tunisiens finiront par l’élire au poste suprême…

Jalel Brick, le névrosé rouge-brun

Depuis Paris où il s’est expatrié il y a près de 20 ans, Jalel Brick est sans doute le plus prolifique des figures autoproclamées « présidentiables », avec souvent plusieurs vidéos par jour depuis le début de l’année, où ses inlassables appels au grabuge lui ont d’ailleurs valu d’être condamné par le tribunal militaire permanent de Tunis au filtrage de son profil Facebook. Plutôt inconnu au bataillon par la génération des jeunes ayant fait la révolution, l’ex militant d’extrême gauche n’hésite pas aujourd’hui à revendiquer la nécessité de la lutte violente du tout ou rien, allant jusqu’à appeler derrière son écran à marcher sur le palais présidentiel et de renverser le gouvernement de transition qui s’est rendu coupable de « collaboration avec l’impérialisme américano sioniste ».

Rendu à ses dimensions réelles par un bilan burlesque d’une centaine de manifestants suite à son « appel du 17 juin », l’activiste, s’estimant leader trahi par son audience, a gratifié celle-ci d’une vidéo qui fera date dans les annales du web tunisien par son langage extrêmement ordurier et ses insultes proférées à l’encontre du peuple tunisien tout entier, le tout en état d’ébriété. Débâcle tragi-comique prévisible, caractéristique d’un culte déçu de la personnalité.

Rappelons enfin le cas plus anecdotique de Hachmi Hamdi, patron de la chaîne Al Mustakellah basée à Londres, qui n’a pas reculé en avril dernier devant le grotesque potentiel consistant à déclarer qu’il « acceptera de présider et gouverner la Tunisie à la demande des téléspectateurs de sa chaîne, par messages et appels téléphoniques, de supporter cette importante mission ».

Coluche en son temps savait faire rire par une démarche politique qui, si elle n’était pas crédible électoralement, avait une portée symbolique et très second degré. L’égocentrisme, conjugué à l’investissement en temps, en énergie et en argent des aspirants à des fonctions fantasmées de chef d’Etat, peuvent signaler quant à eux une démarche délirante se soldant typiquement par une amère désillusion, voire une dépression clinique.

S.S.