Tunisie- Béji Caïd Sebsi dissout les syndicats des forces de l’ordre et botte en touche pour un référendum

Annoncée la veille, la conférence de presse surprise convoquée par le Premier ministre du gouvernement de transition était particulièrement attendue ce matin, ne serait-ce qu’en raison de son caractère manifestement urgent. D’importantes annonces de mesures d’urgence ont, comme pressenti, été faites devant une audience composée d’autant de journalistes que de dignitaires des instances de la transition démocratique, au grand complet.

Après une explication, sur le ton du dépit, des raisons ayant précipité son discours, et qui l’empêcheraient « de se consacrer aux dossiers les plus importants tels que l’emploi et la préparation des élections », Béji Caïd Sebsi s’est livré à l’énumération de décisions pour lesquelles il a constamment pris à témoin l’audience et « le peuple qui doit savoir » a-t-il affirmé, non sans une certaine solennité, sur fond de regain de violences et d’émeutes  généralisées ces derniers jours respectivement à Sidi Bouzid, Béja, Douz, Regueb, Maknasi, Jelma, Metlaoui, El Wardanine et Nabeul…

Renforcement de l’état d’urgence

« Il semble qu’à chaque fois que l’on se rapproche de l’échéance fatidique des élections de l’Assemblée Constituante, certaines parties ne souhaitant ni la démocratie ni le bien du pays se manifestent violemment à travers des actes de sabotage étrangers à la tradition pacifique de la Tunisie ». Ainsi Sebsi a-t-il interprété la récente dégradation de la situation sécuritaire à l’intérieur du pays, qui cette fois prend une ampleur inédite.

Les conflits tribaux qui ne cessent d’y dégénérer ont été qualifiés de « moyenâgeux », et soupçonnés d’être artificiellement provoqués par des entités n’ayant pas intérêt au retour d’un climat de stabilité, condition sine qua non à la tenue des élections.

Renouvelé par le président de la république provisoire le 1er septembre, afin notamment de permettre le maintien du déploiement de l’armée, l’état d’urgences n’était toutefois jusqu’ici appliqué qu’avec beaucoup de souplesse et d’indulgence, au vu du contexte et de la dynamique révolutionnaires dans le pays. C’est ce qu’a rappelé Sebsi avant de « sonner la fin de la récréation ! ».

En effet, l’annonce principale du discours était l’application stricte et désormais « à la lettre du texte de loi de l’état d’urgences » datant de 1978. Ce qui confère aux gouverneurs le droit d’interdire toute manifestation ou sit-in jugés comme étant une menace à l’ordre public. « Les fauteurs de trouble seront à partir d’aujourd’hui sanctionnés conformément à la loi », a-t-il martelé.

Dissolution des syndicats de police et de gendarmerie

Prenant un ton toujours plus grave, le premier ministre est ensuite passé aux révélations autour de la crise politico-sociale qui agite les forces de l’ordre. Celle-ci connaissait un point d’orgue aujourd’hui avec une grève de la police qui manifestait non loin de là où Sebsi tenait sa conférence, Place de la Kasbah.

Se disant poussé dans les derniers retranchements de la patience, il a exhibé dans un style théâtral et indigné, le dernier courrier d’un syndicat de police menaçant le gouvernement de « mesures punitives graduelles ». « Trop c’est trop ! » s’exclamait Sebsi pour qui une ligne jaune a été franchie. Celui-ci a par conséquent fait part de sa décision de mettre dorénavant hors la loi toute activité syndicale de syndicats dont il affirme par ailleurs avoir découvert que leur constitution même avait eu lieu illégalement.

Plus grave encore serait la situation au sein de la gendarmerie, un corps paramilitaire « passible de la cour martiale » a rappelé Sebsi, menaçant. « Un véritable putsch » serait même en cours selon lui, des généraux de la gendarmerie ayant été « dégagés », remplacés par d’autres gradés « putschistes » à qui il a demandé de « rentrer chez eux » immédiatement, en attendant une enquête.

Inédits en Tunisie depuis la révolution du 14 janvier, les syndicats de police et de gendarmerie s’apprêtent donc à être décimés par le ministère de l’Intérieur qui lance dans la foulée des mesures disciplinaires dont feront l’objet les chefs syndicalistes.

Une porte laissée ouverte à un référendum

Dans un volet plus politique et institutionnel, l’autre révélation majeure du discours fut l’annonce de pourparlers ayant eu lieu récemment entre le chef du gouvernement et une délégation de pas moins de 47 partis politiques, venue lui demander d’organiser un référendum populaire déterminant les prérogatives et la durée de la prochaine Assemblée Constituante (officieusement fixée à un an).

Se disant surpris par une telle demande tardive, le Premier ministre a d’abord botté en touche, en répondant que cela ne dépendait pas de lui et que son gouvernement provisoire n’avait pas vocation à convoquer un tel référendum « nécessitant une consultation beaucoup plus large entre l’ensemble des partis, les Instances de la révolution ainsi que la société civile ».

Une annonce qui n’a pas manqué de faire réagir massivement le web tunisien, déjà en ébullition après ce qui a été interprété comme l’aveu d’une possibilité de référendum que beaucoup appellent de leurs vœux, de crainte que la nouvelle constituante ne soit ce saut dans l’inconnu qui ouvrirait potentiellement la voie selon certains à une nouvelle forme de dictature.

Seif Soudani