Tunisie. Autisme politique : Ennahdha choisit l’escalade
En Tunisie, alors que l’on pensait sortir de la crise politique engendrée par les violences policières du 9 avril, avec la levée de l’interdiction de manifester Avenue Bourguiba et l’audition du ministre de l’Intérieur à l’Assemblée, de récents développements, préoccupants pour l’état de la démocratie et des libertés, laissent penser qu’il n’en est rien.
L’audition de Ali Laârayedh jeudi a d’abord surpris tout le monde et pris de court la classe politique. Le ton employé fut étonnamment celui de la défiance. Fini le profil bas que nous avions constaté au point presse de mercredi. Malgré la faute politique du 9 avril, le discours prononcé a outrepassé la défense pour s’inscrire dans la mise en garde. Celle de ses critiques qu’il s’agissait de diaboliser.
24 heures plus tard, Ennahdha convoquait hier vendredi un rassemblement populaire à Bab Souika, quartier qui avait des airs de stade de football. Le fief de l’Espérance Sportive de Tunis célébrait encore la victoire de la veille sur son ennemi de toujours le Club Africain. L’occasion pour Tarek Dhiab, ministre des Sports et ancien joueur du club, de venir parader.
Alors que la foule scandait « Le peuple est avec le gouvernement ! », ce proche du parti islamiste, reconverti dans la politique, a asséné une tirade des plus partisanes, allant jusqu’à accuser l’opposition de haute trahison, de « collaboration avec les ennemis de la nation » et de n’être « pas patriote ». Une rhétorique bien connue chez ceux qui ont vécu l’opposition dans l’ère Ben Ali.
Les dignitaires les plus radicaux d’Ennahdha étaient aussi conviés à cette messe politico-footballistique aux accents populistes décomplexés, parmi lesquels Sahbi Atig, Lotfi Zitoun et Moncef Ben Salem. Ce dernier a renoué avec les théories du complot, et s’en est violemment pris aux médias qui sont de mèche selon le ministre de l’Enseignement supérieur pour boycotter les ministres nahdhaouis, de sorte qu’on évite de parler de « leurs brillantes réussites. »
L’anathème de « l’ex RCDisme »
Plusieurs motifs d’inquiétude ressortent de ce climat particulièrement délétère du choix délibéré de la droitisation du discours.
La très commode et infondée accusation de « tajammouîi » (partisan du RCD) tout d’abord, lancée à tort et à travers contre ses ennemis politiques.
Réitérée à plusieurs reprises jeudi à l’Assemblée par ce qu’on pensait être le moins partisan des ministres issus d’Ennahdha, Ali Laârayedh, elle fit sourire les membres de l’opposition visés (au motif qu’ils participèrent au premier gouvernement Mohamed Ghannouchi), notamment ceux de l’ex PDP, des militants politiques de longue date qui ont tenu tête à Ben Ali durant les pires années de la dictature.
L’angle d’attaque employé, celui des attaques ad hominem, s’en prenant aux personnes plutôt que de répondre sur le fond, fut même porté à son paroxysme dans les longues tirades respectivement de Tarek Dhiab et de Moncef Ben Salem.
Les médias et la presse y ont subi les tirs croisés des deux personnages, dans ce qui ressemble à s’y méprendre à une charge typique contre les élites en général, à la manière des partis d’extrême droite populiste du monde entier.
Dans l’adversité, Ennahdha est-il en train de montrer un visage jusque-là oblitéré depuis son retour sur le devant de la scène politique ? Tout porte à le croire au moment où ses troupes sont appelées à contre-attaquer tous azimuts, dans une démonstration de force belliqueuse, évitant tout semblant de remise en question ou d’auto critique.
La justification de la violence policière, les applaudissements partisans jeudi à l’Assemblée d’élus d’une loyauté aveugle à « leur » ministre de l’Intérieur, les ingérences et sorties partiales de ministres de la République s’en prenant ouvertement aux médias, sont autant de signes avant-coureurs sinon d’une nouvelle dictature germée, du moins d’un durcissement potentiellement fatal à la transition démocratique.
Seif Soudani