Tunisie. Aéroport Tunis-Carthage, terrain de jeu des salafistes
La scène serait-elle devenue fatalement ordinaire ? Aéroport Tunis-Carthage, lundi soir peu avant minuit, des centaines de militants salafistes envahissent le hall d’entrée en quelques minutes, entonnant des chants religieux et intimidant passants et touristes débarquant à Tunis.
Des drapeaux noirs bellicistes sont levés par 300 hommes déposés comme à la parade en voiture, habillés en qamis pour certains, tenue afghane et militaire pour d’autres. Une véritable prise d’assaut, sous le regard attentiste des policiers.
Motif ? Deux prédicateurs marocains, Hassan Kettani et Omar Haddouchi, salafistes djihadistes suspectés d’appartenir à Al Qaïda au Maghreb islamique, sont retenus par les autorités tunisiennes à leur arrivée sur le sol tunisien. Ils devaient effectuer une visite ponctuée de prêches dans des mosquées aux quatre coins du pays, à l’instar d’autres radicaux qui les ont précédés depuis la révolution.
Leurs sympathisants locaux entendaient donc faire pression, via une démonstration de force devenue banale, pour anticiper une éventuelle expulsion.
Qui sont Hassan Kattani et Omar Haddouchi ?
Le 4 février 2012, Hassan Kettani et Omar Haddouchi sont libérés suite à une grâce royale de Mohammed VI, à l’occasion d’une fête religieuse. Ils avaient été condamnés en septembre 2003 respectivement à 25 et 30 ans de prison ferme pour « endoctrinement, association de malfaiteurs et atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat », consécutivement aux attentats de mai 2003 à Casablanca qui avaient fait 45 morts. Tous deux sont interdits d’enseignement au Maroc.
Gracié aussi, Mohamed Rafiki (alias Abou Hafs), autre complice, avait écopé quant à lui d’une peine de 20 ans.
Kettani est encore considéré à ce jour comme le chef spirituel du courant salafiste djihadiste marocain. « Idéologue du terrorisme » ? Difficile à prouver répondent ses admirateurs.
Un haut gradé de la police des frontières nous a confirmé dans la matinée que les deux leaders salafistes seront reconduits dans le courant de l’après-midi. Probablement embarrassé d’évoquer une interdiction de territoire datant de l’ère Ben Ali, il se contente de citer « des ordres de sa hiérarchie » en guise d’explication.
Les Tunisiens préfèrent en rire
Le 24 mars dernier, c’était le retour au pays d’un autre islamiste, Tarek Maâroufi, après avoir purgé une peine de 6 ans de prison en Belgique pour son implication dans l’assassinat du commandant Massoud à Panshir en Afghanistan en 2001.
Une scène similaire, quoique plus festive que le sit-in d’hier, avait alors eu lieu sous le regard médusé des utilisateurs du même aéroport.
Des témoins racontent que les passagers d’un vol Madrid-Tunis, arrivés au même moment que la razzia d’hier, pris de panique à la vue de l’agressivité des jeunes salafistes, ont couru dans tous les sens vers la sortie. L’un d’eux trébuche même et chute sur le marbre de l’aérogare.
Désabusés, beaucoup de Tunisiens inquiets de l’image donnée de leur pays à l’approche d’une saison touristique qui s’annonce mouvementée, ont choisi la dérision aujourd’hui pour railler l’incohérence de leur gouvernement. Détournements et humour décalé sont légion sur les réseaux sociaux. « Seule arme pour contrer l’indifférence générale », nous explique un caricaturiste.
Un gouvernement dont le chef affirmait il y a quelques jours qu’il serait ferme contre tout groupe enfreignant la loi, mais que les salafistes (sans les nommer) étaient « des citoyens comme les autres » et qu’ils « ne seront pas jetés en prison ». En attendant, les admirateurs des figures du terrorisme international continuent de tester les limites de la légalité.
Seif Soudani