Tunisie. Adoption d’une « petite Constitution » aux grandes conséquences

 Tunisie. Adoption d’une « petite Constitution » aux grandes conséquences

Critiqué pour sa complaisance à l’égard d’une Assemblée contrôlée par des conservateurs

S’il était prévisible pour qui connait la configuration de l’Assemblée constituante, le vote à une large majorité de ce qu’il est convenu d’appeler la « petite Constitution » en Tunisie n’en présente pas moins quelques aspects dénoncés comme peu reluisants par les démocrates les plus exigeants, tant dans le contenu du texte que dans le déroulement du vote.

C’est fait. Après de douloureuses gestations, l’Assemblée constituante a finalement accouché samedi de son premier texte de loi, celui de l’organisation provisoire des pouvoirs publics. Un texte dont la priorité du vote tient à la situation considérée comme exceptionnellement critique pour le pays, avec un gouvernement démissionnaire et des institutions en stand-by.

Une stratégie payante

Le contexte était celui de nombreuses voix qui se sont élevées dans la société civile et les partis d’opposition, pour dénoncer un hold-up d’Ennahdha. Le parti islamiste a initialement placé très haut le seuil des demandes politiques, de sorte que même une fois ses exigences renégociées à la baisse, le texte final lui reste largement favorable.

D’abord pensé comme omnipotent dans l’article 10, le poste de chef du gouvernement a dû se voir délesté de quelques prérogatives, surtout relatives aux nominations des hauts fonctionnaires de l’Etat. Après son passage par une commission ad hoc, le texte se résout à prévoir que le président de la République entérine par sa signature la plupart des décisions d’importance.

Un rééquilibrage de dernière minute des pouvoirs qui cache mal une inquiétante mainmise sur l’Assemblée constituante, comme le montre le déroulement du vote en lui-même.

Consensus ou plébiscite ?

Première réserve : on a vu plus démocratique que le résultat sans appel de 141 voix pour et 37 contre, s’agissant d’une loi qui aura été controversée tout au long des débats. Un premier test dont l’issue ressemble davantage à un plébiscite, laissant augurer d’un règne sans partage de la troïka Ennahdha – CPR – Ettakatol.

Il y a ensuite la polémique autour du vote à main levée, un procédé qui n’aide pas à éviter ce genre de situations, en ce qu’il pousse les élus à voter conformément à la discipline de parti. Ainsi il n’était pas rare, tout au long des votes un à un des articles du texte, de voir des élus de la majorité se retourner pour balayer du regard leurs groupes respectifs avant de voter.

Pire, dans certains cas, on a pu relever plusieurs cas de vote double, des élus votant une seconde fois l’inverse de leur premier vote…

Interrogés par nos soins, des membres de l’Assemblée nous ont confirmé que le vote électronique était techniquement possible, mais que l’équipe technique « n’a pas été en mesure jusqu’alors de le mettre en marche ». Seul un tel type de vote, anonyme, pourrait mettre l’Assemblée à l’abri du suivisme et des craintes de représailles.

Le piège de la tentation populiste

L’hymne national enfin, entonné au terme du vote, parait quelque peu déplacé, du moins pompeux et versant dans la récupération. Tout comme le slogan « fidèles au sang des martyrs », slogan hurlé à droite de l’hémicycle, emprunté à la rue, mais à la limite du populisme dans l’enceinte d’une Assemblée.

Le spectacle d’une Assemblée du chant et des slogans, des applaudissements en standing ovation, uniformisée par le geste du V de la victoire, ce spectacle, s’il se généralise à tous les jours de vote importants, rappellerait plus certaines assemblées révolutionnaires d’Amérique latine ou du Baath syrien qu’une Assemblée moderne aspirant à des valeurs démocratiques.

Critiqué pour sa complaisance à l’égard d’une Assemblée contrôlée par des conservateurs, le social-démocrate Mustapha Ben Jaâfar persiste et signe, il clôturait la séance en haranguant la foule des élus : « Nous resterons fidèles à cette révolution, vaille que vaille ! », faisant allusion au coût politique conséquent que son parti Ettakatol paye ces derniers temps, du fait d’une base mécontente de son consensualisme.

Quant à l’opposition, si le bloc PDP a choisi de s’abstenir de voter le texte, en signe de protestation forte contre des pouvoirs publics dits provisoires mais non limités dans la durée, une opposition plus radicale encore s’organisait hier dimanche à l’extérieur de l’Assemblée.

A l’initiative du réseau Doustourna, toujours en embuscade malgré son échec électoral en tant que liste indépendante, un appel avait été lancé pour un grand rassemblement au Palais des Congrès de Tunis, auquel ont répondu quelques milliers de militants.

Le sémillant Jawhar Ben Mbarek y a appelé toutes les forces modernistes à s’unir autour d’un projet commun qui sera consacré lors d’un sommet en février prochain. Un sommet de la dernière chance, celle de réagir en fédérant une opposition éclatée, autour d’une figure de la gauche et d’un front commun.

Seif Soudani