Tunisie – A la veille du scrutin historique, décryptage des forces progressistes en présence

 Tunisie – A la veille du scrutin historique, décryptage des forces progressistes en présence

S’il y a une formation politique qui risque de créer la surprise

A quatre jours des élections de l’Assemblée Constituante en Tunisie, et à deux jours de leur coup d’envoi en avance pour les Tunisiens de l’étranger, il nous a semblé opportun et de faire une mise au point qui répond à quelques unes des questions les plus récurrentes de nos lecteurs au sujet des forces politiques en lice. Nous avons choisi de dresser le bilan des dynamiques qui se sont créées en 10 mois de transition au sein du camp dit « progressiste », en nous focalisant sur les cinq partis majeurs d’un paysage politique qui en compte plus de 100.

Malgré la complexité du tableau politique post révolution en Tunisie, tout le monde sait que les partis qui auront 10 sièges et plus dans la future assemblée se comptent sur les doigts d’une main. Hormis Ennahdha (et son allié déclaré, le CPR), grand favori conservateur qui est donné aux alentours de 80 sièges, ils sont à peine quatre partis, tous modernistes, à prétendre être en compétition pour se partager le reste du gâteau : le Parti Démocrate Progressiste (PDP), Ettakatol (FDTL), le Pôle Démocratique Moderniste, et Afek Tounes.

Pas d’alliances idéologiques mais des coalitions larges, et des logiques électorales

Les positions officielles des uns et des autres s’agissant de la question des alliances pré et post électorales montrent que les dés étaient jetés dès le départ, au lendemain de la révolution, avec leurs choix en termes de priorités. Deux grands groupes se dégagent en effet selon que ces partis eurent pour priorité la « lutte contre les restes du RCD », parti pourtant très vite dissout, ou l’instauration d’une coalition moderniste progressiste pour protéger la nouvelle constitution de toute dérive contre les libertés individuelles. Cet impératif du « faire barrage » est né de la prise de conscience très tôt chez certains leaders à gauche de l’unicité du camp de la droite religieuse. Ces positions officielles donc, peuvent être déclinées comme suit :

Ettakatol, le CPR et Ennahdha disent vouloir un gouvernement d’union nationale après les élections. Avec le PCOT (Parti Communiste Ouvrier Tunisien), ces partis avaient intégré un « Conseil de protection de la révolution » dès janvier 2011, refusant d’entrer à un gouvernement de transition.

PDP, PDM (centre gauche) et Afek (centre droit libéral) disent vouloir former une coalition progressiste républicaine et sont plutôt hostiles à l’idée d’un partage du pouvoir au sein d’un gouvernement comportant des ministres issus d’Ennahdha. Tous ces partis avaient participé aux deux premiers gouvernements provisoires successifs avant de céder la place à des technocrates.

Le cas particulier d’Ettakatol

Les choix d’Ettakatol de s’aligner sur des positions de partis d’extrême droite et d’extrême gauche peut laisser perplexe, du moins, il soustrait le comportement qu’a eu ce parti ces derniers mois aux grilles de lecture politiques traditionnelles, lui qui est censé être proche du Parti Socialiste français.

Pour mieux le comprendre, il faut probablement se poser la question suivante : peut-on aujourd’hui aspirer en Tunisie à la fonction suprême de président de la République sans composer avec Ennahdha ? La réponse est sans doute non, et Mustapha Ben Jaafar, leader d’Ettakatol, l’a semble-t-il bien compris.

Il se murmure dans les milieux bien informés, salons tunisois les plus courus notamment, qu’un accord aurait été trouvé par un arbitrage occidental, après consultation des dignitaires d’Ennahdha (consultation rendue nécessaire par son statut de parti le plus important du pays), sur Ben Jaafar qui ferait l’unanimité pour le poste de prochain président de la République par intérim, sur lequel un consensus devra être trouvé au sein de la Constituante.

De plus en plus conforté dans son statut de figure présidentiable, le leader d’Ettakatol cherche donc à incarner le rassemblement et ne voudrait pas engager, à l’image du PDP, d’affrontement frontal avec un parti Ennahdha dont la bénédiction demain peut être nécessaire à sa nomination pour une présidence qu’il convoite depuis longtemps.

Le Pôle, ou l’ascension fulgurante

S’il y a une formation politique qui risque de créer la surprise, c’est bien le Pôle Démocratique Moderniste. Formé à l’initiative de partis de gauche pour contrer la déferlante islamiste, c’est aujourd’hui un outsider de taille que les sondages n’avaient pas vu venir.

Gens de la culture, artistes, créateurs, show-business, et surtout beaucoup de jeunes se rallient en masse au PDM ces dernières semaines, autour d’une campagne festive et très efficace. C’est que ce rassemblement de 4 partis incarne aux yeux de tout ce monde-là l’alternative à gauche aux postures jugées électoralistes du PDP de Néjib Chebbi et Maya Jribi, capables de dire une chose et son contraire histoire de ratisser le plus large possible, comme le fait de condamner les attaques intégristes suite à l’affaire Nessma TV, mais de déclarer en même temps que « les symboles sacrés de l’identité arabo-islamique sont intouchables ».

Un collectif d’indépendants affiliés PDM impressionnant en nombre et en réactivité combiné à l’élite artistique et culturelle de la Tunisie arborant massivement l’étoile polaire sur les réseaux sociaux, ont vite fait de s’approprier cet entité et lui ont insufflé une identité nouvelle, avec un potentiel mobilisateur d’une image branchée à la clé.

Des références à la grande famille de la gauche sont encore bien présentes lors des meetings, comme lors du dernier grand meeting du Pôle où Bella Ciao, véritable hymne universel de la gauche, fut entonné en chœur. Peu de gens au Pôle ont encore en tête Ettajdid qui reste pourtant le parti de centre gauche au cœur de la mécanique PDM. Son chef Ahmed Brahim s’est peu à peu éclipsé, laissant le devant de la scène à la relève, faite de jeunes talents. Signe de la révolution interne que subit cette entité, le site de l’Observatoire politique tunisien classe le Pôle 1er au classement des partis les plus progressistes du pays.

Seif Soudani