Tribune. Ce que disent les drapeaux…


Des fanions de toutes sortes ont été agités par les sympathisants de gauche qui étaient sur la place de la Bastille le 6 mai 2012. Depuis longtemps, dans les manifestations de masse, on a vu fleurir des drapeaux étrangers, aux côtés des drapeaux français dans lesquels les manifestants s’enroulaient comme pour mieux être « envahis » par ces trois couleurs.


 


Un jeune homme noir a précisé à la journaliste qui l’interrogeait qu’il avait le drapeau français sur les épaules et non au bout d’un bâton parce qu’il était fier, très fier et qu’il ne pouvait encore réaliser que sa France était revenue, il voulait en sentir le symbole sur lui.


Les esprits chagrins ont encore brandi le communautarisme, c’est qu’ils sont étrangers, tous ces gens qui agitent des drapeaux d’ailleurs.


C’est qu’il faut vraiment tout expliquer à ces hommes et femmes politiques de droite, tant la mauvaise foi les aveugle !


Et à ce que je sache, les drapeaux – quasi les mêmes – étaient là en 2002 pour célébrer la République. Ces enfants d’ici ou d’ailleurs n’avaient pas manqué à l’appel pour dire qu’à choisir, le sens républicain de Jacques Chirac était pour ces gens de gauche nettement, fortement préférable aux idées nauséabondes de Jean-Marie Le Pen.


A ce que je sache, les étendards n’étaient pas exclusivement des drapeaux d’autres pays, on pouvait voir brandie la fierté gay et lesbienne autant que le drapeau grec, israélien, tunisien, algérien, marocain, mais aussi syndical, ou encore des fanions revendiquant une retraite précoce.


 


Agiter des drapeaux d’ailleurs n’est pas signifier la prédominance de cet ailleurs sur la France, ni un attachement plus important aux pays autres qu’à la France pour tous ces Français.


Une manifestation exige, en plus du nombre important de personnes, que ces dernières se fassent reconnaître sur les images. On met bien le maillot de son équipe dans un stade, on opte pour une tenue selon les compétitions, on enfile un gilet coloré chez les syndicalistes ou associatifs qui défilent, tout comme on agite un drapeau de sa Province. Il faut qu’en voyant les personnes, on puisse reconnaître leur appartenance.


A la Bastille et toutes les autres fois, prendre un drapeau autre en plus du français, c’est dire « nous les enfants d’Algériens, de Grecs, d’Israéliens, de Tunisiens» ou « nous qui voulons une retraite moins violente, une reconnaissance, un droit plutôt qu’un vide juridique béant », nous sommes là, « dans » la France. C’est également une manière de rappeler que les dossiers auxquels ils sont attachés sont en attente (meilleure relation avec la Tunisie, paix israélo-palestinienne, droit des femmes face au harcèlement sexuel, par exemple).


 


Cette France s’obstine sur une seule catégorie – les enfants d’immigrés – et continue de ne pas véritablement les considérer comme des Français à part entière.


Cette France remue leurs origines dès qu’il faut gagner une bataille, mais pas celle du travail, non, celle-là ne connaît pas de frontière – nouveau concept à droite inspiré d’un homme de gauche – dès que le travail en question est précaire, difficile et déconsidéré.  


Cette France les désigne par leur apparence quand elle ne leur trouve pas d’appartenance déviante ou supposée encore plus commode. Cette France est arrivée à faire dire à son président qu’on reconnait ou rattache une personne à une communauté par « son apparence musulmane » ; elle a fait dire qu’elle risquait l’envahissement par les subsahariens et les pro-Gaza à une élue municipale, elle-même fille d’immigrés maghrébins. Seul Benoît Apparu a semblé comprendre et faire preuve d’humilité en précisant que son camp avait perdu par « le sentiment d’injustice » qu’il a provoqué.


À cette France qui n’entend, faute d’arguments politiques et de choix économiques et sociaux à offrir, qu’inspirer la peur – partout où la télévision arrive – par la couleur d’une peau ou une religion présumée, le nouveau président élu a répondu.


François Hollande a dit haut et fort à la Bastille sa « France de tous les citoyens égaux en droits et en devoirs, la France de la diversité et de la fierté réunies ».


Et les drapeaux sont descendus comme autant de causes qui avaient été comprises. Rassérénés, ces enfants de France, qu’on voulait d’ailleurs, se sont mis pleinement à la fête. Gageons que désormais, sauf provocation, le seul étendard levé sera celui de la France qui aime ses enfants, tous ses enfants, d’où qu’ils viennent.


 


Par Aïcha DOUROUNI-LE STRAT

Juriste et analyste politique

Spécialiste en sociologie électorale