Samira El Ayachi. La littérature au service de la vie
C’est un écrivain qui aime à la fois avoir les mains dans le cambouis et la tête dans les cieux. Dans sa ville lilloise, Samira El ayachi organise depuis deux ans un festival littéraire et populaire « L’origine des mondes ». La seconde édition a lieu en ce moment, jusqu’au 10 avril.
En 2007, elle publie son premier roman « La vie rêvée de Mademoiselle S. », dans lequel elle nous plonge au sein du quotidien de Salima l’année du bac. L’adolescente prise entre deux eaux (le monde adulte et celui de l’enfance), entre trois langues (celle de la rue, celle de l’école, celle des parents), résistera au « spleen » ambiant grâce à son goût pour les livres. Depuis ce premier roman, Samira El Ayachi sillonne la France et le Maroc pour rencontrer ses lecteurs dans des salons littéraires en vogue ou dans les écoles, les MJC, les prisons. Samira s’est découvert une nouvelle passion : elle écrit pour le spectacle vivant, monte sur scène pour donner des lectures à voix haute accompagnée de musiciens. Sa création, « Les Chibanettes se cachent pour mûrir » (l’histoire d’une vieille dame marocaine qui se retrouve en maison de retraite) a été lue dans plusieurs salles de spectacles. « Une jolie façon de faire vivre la littérature en dehors des seuls supports livres ».
Enfant, elle réécrit la fin des histoires
L’écriture est arrivée très tôt. En même temps que la lecture. La légende raconte qu’elle a dévoré l’intégralité des livres de sa bibliothèque municipale quand elle était enfant, puis s’est mise à réécrire la fin des histoires dès que celles-ci n’étaient pas à son goût. Samira se dit « passionnée de la langue et de ses infinies possibilités ». Et elle ne doit pas cela qu’à l’école, aime-t-elle rappeler. Son père, connaisseur du Coran, donne le prêche en arabe et est l’un des rares du secteur à savoir lire et écrire le français. Il se charge souvent de remplir les documents administratifs pour les voisins après la fermeture des mines de charbon.
« Nous étions tous différents »
Les parents de Samira sont originaires d’un village qualifié de « zaouïa », village de sages qui s’appelle Zaouiat Sidi El Mokhtar, situé près de Zagora, dans la Vallée du Draâ, au Sud du Maroc. Région que son père quitte donc pour le froid du Pas-de-Calais dans les années 70. Pour elle, ses parents ne sont pas arrivés en France les mains et les poches vides : « Toute cette génération d’hommes et de femmes apportaient avec eux une longue histoire et de nouveaux imaginaires ». Sa famille a été accueillie dans un quartier ouvrier appelé La Cité du Maroc, à Méricourt, près de Lens « J’entendais toutes sortes de langues : du polonais, de l’italien, de l’espagnol, du patois, de l’arabe ou du berbère», raconte Samira qui ne s’est jamais sentie différente « parce que nous étions tous différents ». Samira El Ayachi a donc grandi au milieu de ces paysages sonores qui font la particularité du bassin minier. Dans le coron d’accueil, la famille a une maison et un jardin. Samira s’agence une petite bibliothèque. Camus, Driss Chraibi, Zola, Romain Gary ornent les étagères.
Ses parents lui ont appris la pudeur
« On veut toujours nous rattacher à notre histoire », s’agace Samira. « Pour moi, toutes ces questions sont dépassées, mais on nous les renvoie à la figure tout le temps ». Difficile de parler de ses origines, de parler de soi. Ses parents lui ont appris la pudeur « Ils se taisaient dans les moments difficiles. La nouvelle génération s’exprime davantage, le dit quand cela ne va pas et c’est tant mieux », raconte Samira. Elle, elle préfère dépeindre la complexité des parcours individuels dans ses romans.
Elle note sur un carnet, ses rêves
Petite, sur les bancs de l’école, Samira se met déjà au travail : elle écrit des poèmes, des histoires courtes et tient son journal. Elle note sur un carnet tous ses rêves, « cette matière première pour se construire, ce que l’on a de plus singulier, ce point de repère intime quand on entre dans le monde adulte ». Plus tard, il y a ce professeur en seconde qu’elle déteste parce qu’elle est trop exigeante. Mais Isabelle Brendel, lectrice de la première heure, encouragera sa vocation d’écrivain. Alors Samira lui adresse une « Lettre à un professeur qui a marqué votre vie » dont l’incipit est sans appel : « Je vous ai détestée, Madame ». Avec cette lettre, elle remporte le Prix Littéraire Louis Germain et une première publication aux éditions Flohic.
Après le lycée, Samira El Ayachi fait hypokhâgne puis khâgne au lycée Faidherbe de Lille. Au concours d’entrée à l’ENS, l’impertinente dessine des fleurs, des vaches et des moutons sur sa copie. Elle a vite su qu’elle ne serait jamais prof. Bien qu’elle admire ce métier, elle n’a aucune envie d’enseigner, « le système est fait pour se reproduire tel quel », condamne-t-elle. Elle préfère revenir sur l’estrade sous un autre habit : celui de romancière.
Une année sabbatique… puis des voyages
Après ce concours saboté, elle s’inscrit en IUP (Institut universitaire professionnalisé), section Art et culture. Puis intègre l’équipe d’une grande salle de concert lilloise. Cette fois encore, elle se pose en entremetteuse et met en place des festivals et des rencontres insolites. Parmi ses souvenirs les plus forts : rencontre de collégiens avec Alain Bashung, un concert de Souad Massi en plein air à Lille Sud, Kery James à la Maison d’Arrêt de Loos. Poste qu’elle n’hésite pas à quitter au bout de 8 années après une année sabbatique pour vivre l’écriture. Samira voyage. « L’homme doit être nomade », aime-t-elle à rappeler. Voyager pour « écrire librement ». Elle prend du recul pour écrire de nouveaux spectacles, et rendre les corrections de son deuxième roman dont la sortie est prévue pour ce printemps. Son grand souhait aujourd’hui, c'est que ce nouvel écrit soit distribué au Maroc, traduit en arabe et pourquoi pas, en berbère.
Chloé Juhel