Réouverture des frontières algéro-marocaines : le plaidoyer de Lakhdar Brahimi
Il n’est plus sur la brèche mais ses avis ont leur pesant de pertinence. L’Eminent diplomate Lakhdar Brahimi, ancien envoyé spécial de l’ONU en Afghanistan et en Irak, vient de s’exprimer sur les relations tumultueuses entre les deux grands voisins maghrébins, l’Algérie et le Maroc.
Profitant de sa participation, mercredi 28 septembre, à un colloque international à Alger ayant pour thème » Le monde arabe en ébullition : révoltes ou révolutions ? « , Lakhdar Brahimi, diplomate chevronné, n’est pas allé par trente-six chemins pour plaider la réouverture des frontières entre les deux pays voisins, fermées depuis 1994 au lendemain de l’attentat de Marrakech. Pour lui, on ne peut pas évoquer le Maghreb « sans l’ouverture de la frontière entre l’Algérie et le Maroc ». « Il n’y a pas de Maghreb sans amélioration des relations entre l’Algérie et le Maroc. Et le Machrek a besoin du Maghreb », insiste-t-il.
Un climat de guerre froide
Lancée en fanfare en 1989, l’Union du Maghreb arabe (UMA) est restée, plus de 20 ans après, une coquille vide sans aucune prise sur la réalité à cause justement de ce climat de « guerre froide » entre les deux pays. En fait, Lakhdar Brahimi n’a fait que dire plus haut ce que beaucoup d’Algériens pensent tout bas. Avant la fermeture de la frontière ouest, plus de 2 millions d’Algériens se rendaient au royaume chérifien qui, grâce à ce flux, engrangeait une manne de 3 milliards de dollars. Beaucoup de Marocains venaient également en Algérie pour chercher du travail. Et selon des économistes, la fermeture des frontières maroco-algériennes coûte 2% du PIB à chaque pays maghrébin. Il est donc incontestable que les premières victimes de cette vieille et continuelle brouille, sont les populations des deux pays qui ont beaucoup de choses en partage. « À chaque fois que je pars au Maroc, on m’interpelle sur la question. À Tlemcen aussi », atteste Lakhdar Brahimi avant de regretter : « Il y a certes des tentatives, mais elles échouent à chaque fois ».
En février dernier, l’actuel ministre algérien des affaires étrangères, Mourad Medelci, a soutenu, sur la chaîne France 24 que l’Algérie et le Maroc s’emploient à instaurer un « nouveau climat positif » favorable à la dynamisation des relations entre les deux pays. Une déclaration de bonne intention qui, quelques semaines plus tard, sera suivie d’un ballet de visites ministérielles entre les deux pays. Le président algérien lui-même y mettra du sien en soutenant à la mi-avril, lors d’une visite à Tlemcen, qu’« il n’y a pas de problème entre l’Algérie et le Maroc ». « Le problème du Sahara occidental est un problème onusien. Le Maroc est un pays voisin et frère. Il faut coopérer et nous devons coopérer (avec lui) », insistait-il.
Le Sahara, un obstacle ?
Beaucoup ont vu dans ces déclarations conciliantes les signes avant-coureurs d’une proche réouverture des frontières sans cesse remise sur la table par les responsables marocains. Cependant, les Marocains ont à peine eu le temps de savourer ces « bons propos » – pour reprendre le porte-parole du gouvernement marocain Khalid Naciri – avant d’être refroidis par le premier ministre Ahmed Ouyahia qui, avec son style à l’emporte-pièce, viendra gâter cette idylle. Sans ambages, il a assuré que la réouverture des frontières terrestres entre les deux pays « n’est pas à l’ordre du jour ». « Il n’y a rien de programmé et elle arrivera un jour, a-t-il dit. Mais pour qu’elle arrive, elle a besoin d’un climat, et le climat se concrétise par des déclarations », expliquait-il, non sans jeter la pierre à Rabat qui aurait tenté d’impliquer Alger dans le conflit libyen. D’autre part, alors que Lakhdar Brahimi voit en la question sahraoui un « obstacle » au dégel des relations algéro-marocaines et, par ricochet, à la construction maghrébine, les autorités algériennes, elles, soutiennent le contraire. Et c’est le même Ouyahia qui a martelé que cette réouverture « n’est pas conditionnée par la question du Sahara Occidental ». Le nouveau contexte régional né du printemps arabe, poussera-t-il les deux voisins maghrébins à apurer leur vieux contentieux pour accélérer une construction maghrébine retardée par leurs querelles de clocher ? L’espoir est permis.
Yacine Ouchikh