Quel pacte social pour une croissance plus juste et mieux redistribuée en Tunisie ?
Aujourd’hui, s’ouvraient au célèbre hôtel Africa de Tunis, deux journées d’étude sur le thème « Un nouveau contrat social pour une croissance juste et équitable ». Organisé sous la double égide du Bureau International du Travail (BIT) et de l’Institut International d’Etudes Sociales (OIT), deux agences dépendant de l’Organisation des Nations Unies, l’événement montre encore une fois que la Tunisie fait actuellement l’objet d’un grand intérêt au plus haut niveau des instances internationales. Il intervient en effet 24 heures à peine après deux journées d’une réunion extraordinaire de la « Task force » de l’Union européenne, toujours à Tunis, à l’issue de laquelle Catherine Ashton a octroyé 157 Millions d’euros pour la relance de l’économie tunisienne.
La conférence d’ouverture commençait néanmoins sur une fausse note assez surprenante puisque contrairement à ce que l’annonçait la banderole au-dessus des intervenants, Mohammed Ennaceur, ministre des Affaires sociales, était absent. C’est son chef de cabinet qui ouvrit la séance non sans un certain embarras, en expliquant simplement que « le ministre avait eu un empêchement indépendant de sa volonté ».
Le cœur des débats de la matinée fut la présentation des résultats d’une étude sur la croissance et l’équité par l’éloquent directeur de l’OIT, Raymond Torres (celui-ci a par ailleurs confirmé que l’agence compte s’implanter en Tunisie sous peu).
Il a commencé par expliquer que la Tunisie, le pays qui a été « l’annonciateur du printemps arabe, est un exemple frappant de la fragilité d’un système économique fondé sur un modèle de développement inefficace » : En dépit de la forte croissance (5 à 6%) de ce pays et de son contexte d’apparente stabilité macro-économique, les fruits de cette croissance avaient été inégalement répartis entre régions et classes sociales. Les inégalités étaient généralisées, le chômage élevé, le clientélisme endémique et les perspectives de travail décent limitées. Ce dernier aspect a trait à ce qu’il a appelé la qualité du travail, devenu de plus en plus précaire.
Tout cela ouvre opportunément la voie pour un débat de politique générale sur la construction d’ « un modèle de développement plus inclusif ».
Il s’avère que la Tunisie a émergé relativement indemne de la crise financière mondiale, se comportant bien mieux que la moyenne régionale du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. La croissance économique n’a ralenti que de 4,5% en 2008 à 3,1% en 2009, et dès 2010 un redressement assez vigoureux avait déjà commencé.
Le taux de chômage n’en a été que modérément affecté, augmentant de 12,4 % en 2008 à 13% en 2010. En réalité, il y a eu de lourdes pertes d’emplois dans le secteur manufacturier au cours de la crise – quelque 38.000 emplois ont disparu au cours des seules années 2008 et 2009 –, car le secteur du textile et de l’habillement a connu une contraction considérable, mais aussi dans d’autres secteurs importants, comme la machinerie et les composants électroniques. Toutefois, ces pertes ont été selon Torres largement compensées par la création d’emplois dans le secteur des travaux publics et par la réduction du temps de travail dans le secteur des services.
Le salut peut venir du secteur privé
Le problème du chômage est particulièrement aigu parmi les jeunes diplômés universitaires, car ils ne parviennent pas à trouver des emplois appropriés correspondant à leur qualification au terme de leurs études.
La solution plaidée par le rapport de la BIT consiste à traiter le point faible de l’économie tunisienne : la pénurie d’emplois de qualité. « Aborder les problèmes du marché du travail exige que l’on mette plus fortement l’accent sur la promotion de la création d’emplois dans le secteur privé, le perfectionnement des mécanismes de dialogue social et l’amélioration de la couverture et de l’efficacité de la protection sociale,» préconise le rapport.
Jusqu’ici, les réponses de politique générale ont été inadéquates selon le BIT. La réponse apportée à la crise mondiale a été timide et n’a pas tenté d’aborder les problèmes structurels du marché du travail. Le Plan d’action en 17 points récemment adopté par le gouvernement de transition a fait un pas en avant en réactivant et en promulguant un certain nombre de mesures destinées à améliorer la création d’emplois, en particulier pour les jeunes. Mais il ne s’agit essentiellement là, par définition, que de mesures palliatives à court terme. Les politiques adoptées doivent avoir davantage de portée et, ce qui est plus important, un dialogue national sur la réponse institutionnelle à apporter aux inégalités existant sur le marché du travail doit s’instaurer.
Sur un ton très franc et décomplexé, les intervenants ont tour à tour dénoncé le fait que l’économie tunisienne a longtemps été louée pour sa « forte compétitivité » qui masquait en fait une croissance bancale et structurellement mal répartie, laquelle a finalement mené aux événements du 14 janvier. Une erreur fondamentale qui conduit même certains partis politiques à proposer un découpage administratif nouveau, et, sur un plan plus politique, à retenir la leçon de l’abus d’auto satisfaction par rapport à une embellie économique souvent insidieuse.
S.S