Premiers pas de la démocratie tunisienne, le point de vue critique de Salah Zeghidi
L’un des aspects du démarrage effectif de la démocratie correspond en Tunisie au coup d’envoi des travaux de la constituante le 22 novembre dernier. D’emblée, l’Assemblée vit ses premières crises, avec des débats de plus en plus véhéments et la dénonciation par l’opposition d’une tentation autocratique de monopole des pouvoirs aux mains de la majorité. Premiers pas ou premiers faux pas ? Nous avons voulu avoir la lecture de Salah Zeghidi, ancien membre de la direction de la Ligue tunisienne des droits de l’homme et insatiable militant démocrate.
Visiblement inquiet, l’homme nous confie d’abord son étonnement face à la tournure que prennent les évènements depuis l’annonce des résultats du dernier scrutin.
Avant de livrer sa réflexion sur l’exercice réel de la démocratie, il prend soin de rappeler que la nouvelle Assemblée n’est que l’un des nombreux lieux où se construit la démocratie, celle-ci ne pouvant pas être réduite aux débats d’une chambre d’élus, aussi démocratiquement élus soient-ils.
Zeghidi fustige d’abord les lenteurs observées depuis le 23 octobre dernier : « Nous sommes à la 7ème semaine après les élections, et l’Assemblée en est encore à discuter des modalités du règlement intérieur de ses propres travaux », s’indigne-t-il.
Il déplore aussi l’absence de gouvernement, qui serait constitué en coulisses, mais tarde encore à prendre forme. Tous ces « débats stériles », ensuite, sur les pouvoirs à donner au prochain Premier ministre, trahissent selon lui l’esprit du processus qui a mené à l’élection de la Constituante.
« Ces gens-là ne sont pas pressés ! »
Il juge « surréaliste » en outre que pendant 3 semaines, les trois partis de la coalition majoritaire aient discuté en coulisses du partage du gâteau du pouvoir. Un pouvoir qui semble les obséder, « alors que la révolution s’était faite précisément contre l’appétit de pouvoir de l’ex dictature. »
Pour Zeghidi, la preuve que la troïka entend « prendre tout son temps » est contenue dans le vote d’avant-hier mercredi, lorsque fut discrètement voté un mandat non limité par le temps, s’agissant de la rédaction de la future Constitution, sa tâche première pourtant, sur la base de laquelle a été élue l’Assemblée.
« Comment peut-on encore faire confiance à des responsables de partis qui ont manqué à leur engagement devant des électeurs ?! », s’insurge-t-il, rappelant la promesse solennelle signée par 11 partis en septembre dernier, le texte de la Déclaration de la transition démocratique limitant leur mandat à une année.
Un système d’ores et déjà parlementaire, ou la charrue avant les bœufs
Plus grave, le système virtuellement parlementaire qui semble avoir déjà été accepté par l’ensemble de la scène politique : « Nous sommes en train de faire comme si la Constitution avait déjà été rédigée, et que l’on avait décidé que nous voulions un système parlementaire », s’étonne Zeghidi.
Autre « bizarrerie » observée à l’assemblée par l’ex militant de la LTDH, le fait que son ex compagnon de route de la Ligue et au sein de l’opposition, Mustapha Ben Jaafar, puisse déclarer aujourd’hui « le mot d’opposition me gêne », en parlant des nouveaux partis d’opposition. Une diabolisation qui n’est pas de bon augure.
Sceptique sur les intentions de l’islam politique en Tunisie, il poursuit : « Je n’arrive pas à penser que l’on puisse réellement construire un régime démocratique sous la direction d’Ennahdha », nous confie-t-il ensuite dans une tirade où il ne ménage pas le parti islamiste.
L’homme regrette notamment qu’il n’y ait plus personne au sein de la classe politique, y compris dans l’opposition, pour oser proposer autre chose que le consensus avec Ennahdha, ou ne serait-ce que rappeler qu’il s’agit d’un parti à référentiel religieux.
Extrêmement préoccupé par l’avenir de l’opposition à la lumière des divisions dont il est témoin au sein même du Pôle Démocratique Moderniste (5 sièges à l’ANC), ensemble de partis où il a milité lors de la campagne électorale, il ajoute avant de nous quitter que si un front des forces de l’opposition moderniste ne se constitue pas aujourd’hui en vue des législatives, si ce front ne trouve pas suffisamment d’affinités pour s’unir dans le combat contre l’hégémonie de la troïka, alors le pessimisme reste de mise pour les prochaines échéances.
Propos recueillis par Seif Soudani