Polémique autour de l’identité nationale tunisienne
organisé par la chaîne privée Nessma TV. Débat qui, quelques jours plus tard, n’a pas fini d’avoir diverses répercussions, parfois inattendues par leurs proportions. Ainsi ce qui n’était qu’un malaise perceptible sur le plateau ce soir-là autour de la présentatrice vedette Rim Saïdi, se transforma en mini séisme politico-médiatique dès le lendemain et tourne même à l’incident diplomatique.
L’identité ou l’ultime tabou
Sur fond de débats houleux autour d’un pacte républicain en préparation qui divise les Tunisiens et leurs représentants au sein du conseil présidé par Iyadh Achour, crever l’abcès du tabou entourant visiblement encore le sujet chez les plus conservateurs, c’est la gageure que semblait se proposer la chaîne connue pour avoir la ligne éditoriale la plus moderniste du paysage audiovisuel tunisien. Pour ce faire, toutes sortes de sensibilités politiques étaient conviées à débattre.
C’est Mohamed Kilani, président du Parti Socialiste de Gauche, qui ouvrit le bal des interventions, en faisant remarquer que chaque pays arabe avait ses particularismes, ayant interagi plus ou moins différemment avec la civilisation islamique. Une civilisation à laquelle on ne saurait selon lui réduire toute l’histoire de la Tunisie dont les 14 siècles d’islam ne sauraient résumer près de 30 siècles d’Histoire, « l’islam traditionnellement malékite, modéré et tolérant en vigueur dans le pays apportant une preuve de la spécificité du pays », un pays fort d’une identité complexe, a-t-il insisté.
Ce serait ignorer par ailleurs les racines ethniques multiples du pays, particulièrement la composante berbère, rappelait la modératrice du débat, qui fit remarquer au passage ses propres origines amazighes ancestrales. Indignation immédiate de Bechir Essid coordinateur du MPUP (un parti issu de la fusion entre deux partis politiques d’obédience nationaliste arabe), pour qui remettre en question l’identité foncièrement arabo-islamique de la Tunisie est une aberration. « Ce que vous venez de faire est extrêmement dangereux » surenchérit-il, sans jamais pouvoir démontrer en quoi les propos échangés étaient si dangereux, questionné par la juriste et militante féministe Me Saïda Garrach, amusée par une réaction selon elle disproportionnée et relevant d’un réflexe de censure.
Nessma, la chaîne qui dérange
Mais à l’image de Noureddine Bhiri du parti Ennahdha qui déplora que l’on ne s’en tienne pas à l’islam pour puiser valeurs et identité communes aux Tunisiens, pour s’en prendre violemment ensuite au co présentateur de l’émission, Sofiene Ben Hmida, qu’il accusa d’être partisan et de mener une campagne diffamatoire contre son parti, c’est Ennahdha et -acteur plus inattendu- le gouvernement algérien qui brandirent sans plus tarder l’arme du boycott à l’égard de la chaîne. Si dans un communiqué, le parti islamiste annonça au lendemain de l’émission le boycott à l’avenir d’une chaîne qui selon lui « remet en doute les fondamentaux du pays dont l’identité arabo-islamique du peuple tunisien », l’Etat algérien a quant à lui décidé de l’expulsion pure et simple de la chaîne, en lui signifiant que sa présence était désormais indésirable sur son sol.
En réalité, un conflit ouvert couvait depuis plus d’un mois déjà entre La chaîne du Maghreb (slogan de Nessma TV) et les autorités algériennes, ce dernier débat n’ayant fait que précipiter cette expulsion. Regardant déjà d’un mauvais œil la révolution tunisienne, le gouvernement de Bouteflika, connu pour ses sorties souverainistes, voit probablement en la chaîne à l’actionnariat tunisien majoritaire une potentielle source de nuisance sur son territoire, et évoque des raisons d’ordre bureaucratique et légal pour se justifier d’une telle décision.
Plus encore qu’en France, cet épisode montre que le débat sur l’identité nationale dans les pays arabo-musulmans est sans doute insidieux : il tend à vouloir confondre le simple constat d’une religion et d’une nationalité statistiquement dominantes et relevant de l’évidence, avec la volonté politique et réactionnaire de conserver les choses en l’état pour mieux combattre tolérance et multi culturalisme.
Les adeptes du culte de l’identité, qu’ils soient nationalistes ou fondamentalistes religieux, aiment à rappeler cet état de fait identitaire, comme pour mieux maintenir un ordre immuable sur le mode de l’apologie. Pour autant l’arabité de la Tunisie est-elle sacrée et ses racines berbères doivent-elle être niées, à l’heure où, fait historique, le Maroc voisin vient de reconnaître officiellement la langue amazighe ? En attendant un Groupe de soutien sur Facebook a été créé pour défendre Rim Saïdi, victime de menaces de mort à l’issue de l’émission, il compte déjà plus de 4.000 personnes.
Seif Soudani