Point de vue- Tunisie Autocritique


Les Tunisiens commencent la rédaction de leur constitution avec un rapport de force favorable à la coalition au pouvoir. La société tunisienne est polarisée entre deux camps qui se font face, avec un enjeu majeur : la place de la religion dans la future loi fondamentale.


Le premier camp se réclame de la laïcité, de la modernité, de la primauté du droit positif, des libertés individuelle et des droits de l’homme, et demande un Etat civil. Le second se réfère volontiers au religieux.


Appelons-les, par commodité, le camp moderniste d’un côté et le camp religieux de l’autre.


Ennahdha est arrivé largement en tête des élections, un peu par défaut si l’on tient compte du fait que le report des voix lui a été extrêmement bénéfique, sachant également que 1 300 000 voix ont été perdues par les autres partis à cause de leur éparpillement. De plus, Ennahdha avait le monopole du référentiel religieux, face à une centaine de partis concurrents.


Aujourd’hui, à la veille de la rédaction de la constitution, l’opposition parait faible, peu audible et en perte de vitesse, malgré les tentatives de regroupement.


Avec habileté – et aussi grâce aux erreurs commises par les autres partis, Ennahdha et ses alliés ont installé deux contre-vérités, aujourd’hui communément admises :


1-les laïcs sont des athées francophones et islamophobes à la solde de la France. Ils sont plus ou moins anti-arabes, anti-musulmans, ennemis de l’islam qu’ils veulent exterminer. Les laïcs sont aussi présentés comme des athées ennemis de la religion.


Cette contre-vérité s’est tellement imposée que plus personne n’ose se revendiquer laïc chez les politiques.


Laïc est désormais un gros mot et une insulte.


Il y a eu des tentatives d’expliquer la réalité de la laïcité, mais sans succès. Même le premier ministre turc Erdogan a échoué. Finalement, tout cela donne raison à Tariq Ramadan qui explique ici : « la laïcité peut exister dans les pays musulmans à condition de bien la présenter ». Et surtout éviter de la nommer.


2-la plupart des médias tunisiens, y compris la chaîne de tv nationale, sont les « médias de la honte », à la fois vendus, contre-révolutionnaires et peu professionnels.


Il y a un pilonnage quotidien contre les médias, sur les réseaux sociaux et dans les déclarations de différents responsables partisans ou gouvernementaux. Ces derniers n’ont pas compris que les médias ne s’intéressent pas aux trains qui arrivent à l’heure et qu’il appartient à chaque responsable politique d’apprendre à vendre sa salade, ou si l’on préfère sa cause.


Des ministres ont à plusieurs reprises avancé l’exemple du tourisme, desservi par les informations montées en épingle par les médias, comme l’occupation de la Faculté de La Manouba ou l’émirat de Sejnane. En réalité, les médias étrangers qui ont relayé ces infos étaient présents en Tunisie et ont réalisé leurs propres reportages.


C’est un travail de délégitimation global des médias qui est dangereux, car les médias sont indispensables en démocratie.


En face, l’opposition est divisée, essoufflée et n’a pas de leader d’envergure. Le discours des uns et des autres n’est pas très élaboré et manque de charisme ; la capacité de mobilisation est très limitée et aucun leader ne parait capable de fédérer, d’indiquer une direction, de tenir tête au dogmatisme et au double discours de la coalition, de s’adresser à une large base populaire. L’opposition est condamnée maintenant à suivre les initiatives de la société civile, la seule qui fait quotidiennement acte de résistance.


L’opposition n’a pas fait son autocritique – ou alors, dans le plus grand secret. Elle n’a pas tiré les leçons de sa déroute électorale.


Nous sommes sur ce portail, et dans ce magazine, convaincus que l’avenir des pays arabo-musulmans passe par la primauté des droits de l’homme et non par la charia.


L’avenir de la Tunisie se jouera en grande partie par le contenu de la future constitution et notamment, comme le disait Yadh Ben Achour, par les trois points suivants :


a.      La nature de l’Etat : Etat civil ou Etat qui tire son essence et sa législation de la charia ? Ou les deux ?


b.      Le rapport entre l’action politique et la religion : ira-t-on jusqu’à interdire la confusion entre politique et religieux ou bien y aura-t-il silence sur la question ?


c.       La liberté de conscience : Il ne s’agit pas seulement de la liberté des minorités religieuses, mais cela va jusqu’au droit de renoncer à sa religion, de croire ou de ne pas croire.


Pour les deux derniers points, je crois qu’il ne faut pas se faire trop d’illusions.


Concernant le premier, les clés sont détenues par Ennahdha, le CPR et Attakattol, et dans une moindre mesure, par le pragmatisme et l’environnement international qui n’admet pas les radicalismes. Quant à l’opposition, elle est pratiquement condamnée à subir et à prier.


Boujemâa Sebti