Plus Jamais Peur, documentaire événement en Tunisie

Il y a avait une certaine impression de mise en abîme, aussi troublante que saisissante, à visionner la première projection de Plus Jamais Peur dans une salle de cinéma à deux pas de l’Avenue Habib Bourguiba, Avenue qui fût elle-même le théâtre de la plupart des événements décrits dans le film de Mourad Ben Cheikh. Fraîchement présenté à la sélection officielle de la 64ème édition du Festival de Cannes, tel que l’arbore fièrement l’écran-titre, le film documentaire étonne d’abord par le parti-pris audacieux d’une démarche analytique avec seulement trois mois de recul sur des événements dont les ramifications sont littéralement encore en cours au moment de sa sortie.

Avant-gardiste l’est tout autant le choix artistique de la narration multiple de trois récits qui convergent vers une même soif de liberté, au travers du parcours de trois figures de la révolution qui se racontent elles-mêmes, et que la caméra du réalisateur suit sans jamais commenter, comme pour suggérer que lorsque la réalité se met à avoir du talent, rien ne sert de l’encombrer d’artifices.

Placé sous le signe de l’épure et du récit brut, sans fioritures, le décor est donc planté d’emblée : trois militants issus de trois milieux clés ayant apporté une pierre à l’édifice d’une révolution éclair, chacun à sa façon : Karim Cherif, Lina Ben Mhenni et Radhia Nasraoui, respectivement : un militant des droits de l’homme représentant la société civile, une universitaire et blogueuse emblématique de la cyber dissidence, et une avocate épouse d’un chef de parti politique longtemps emprisonné, Hamma Hammami. Le dénominateur commun aux trois itinéraires : la défiance face à la peur. Peur d’un État policier qui a laissé, au bout de 23 ans de répression, une population tunisienne exsangue et un ras-le-bol généralisé, auquel s’est substitué un cri unanime : « plus jamais peur ! ».

Des personnalités dont on pensait tout connaître, mais qui se livrent sous l’objectif de Ben Cheikh et ses talents maïeutiques à des témoignages aussi inédits qu’authentiques sur leurs luttes, leurs souffrances jadis endurées au quotidien et surtout leurs petites victoires tour à tour remportées laborieusement sur la tyrannie, véritable travail de fourmi pour Lina la blogueuse star, travail de longue haleine pour l’increvable épouse dévouée Radhia, travail d’artiste enfin pour Karim qui lui coûta une névrose, créatrice mais non moins handicapante pour le restant de ses jours. Car les protagonistes phares de la révolution y laissèrent tous des plumes, tel qu’en atteste le lourd tribut que ce dernier paya de sa santé mentale.

Le film s’ouvre et se termine en effet sur un impressionnant travail de collage d’images et de coupures de presse dans le cadre de séances thérapeutiques encadrées par une psychiatre, formant au final une vertigineuse mosaïque d’images symbolisant le tumulte de la Révolution du Jasmin. Une fresque métaphore de la délivrance cathartique, qu’une touchante dédicace finale vient dédier à ceux qui sont disparus en cours de route, avant d’avoir pu jouir d’une liberté qu’ils contribuèrent à arracher.