Parti Pirate Tunisien, ou le culte de la transparence, érigé en parti politique
Malgré l’apparente incongruité de son nom, et après près d’un an de clandestinité, le Parti Pirate Tunisien entend être officiellement reconnu à l’image de ses homologues européens. Ainsi le mouvement vient de déposer une demande d’agrément auprès du ministère de l’intérieur et sort simultanément de l’ombre en invitant tunisiens jeunes et moins jeunes sensibles aux questions numériques à rejoindre leur mouvement qui, il faut le reconnaitre, semble objectivement à la pointe par rapport aux partis traditionnels s’agissant des nouveaux débats de société qu’impose l’actualité tant nationale qu’internationale en la matière (censure, filtrage du web, vie privée, cyberdissidance, etc.).
Mais déjà une polémique pointe et accompagne le « coming out » du parti. Elle concerne la paternité disputée du parti. Dans une interview faisant le « buzz » depuis hier dans les réseaux sociaux tunisiens, Slah Eddin Kchouk, cadre du parti, accuse l’actuel secrétaire d’Etat à la jeunesse, Slim Amamou, d’avoir usurpé cette paternité et d’avoir « lâché » ses compagnons de route d’autrefois depuis sa nomination. Contacté à ce sujet, ce dernier vient d’infirmer catégoriquement avoir initié le mouvement en 2010.
Au-delà de cette controverse et des querelles de prestige et d’égo, les objectifs-mêmes du parti, connu pour ses liens présumés à la désormais célèbre organisation d’Assange Wikileaks, soulèvent encore une fois la délicate question de l’exigence de transparence, transparence absolue, sur le modèle américain du Freedom of Information Act. Ce qu’on pourrait qualifier d’idéologie –vaguement populiste diront ses détracteurs- du culte de la transparence, trouve en effet ses limites dans bien des cas, tels que le secret de l’instruction en cours, le secret défense, ou encore le « prestige de l’Etat » (cher à Béji Caïd Sebsi) et plus généralement la diplomatie et les relations internationales (mises à mal par le même Wikileaks encore aujourd’hui).
C’est un fait, la transparence ne saurait être une vertu absolue, et le peuple informé en temps réel relève probablement de l’utopie. Dans le cas plus précis de la Tunisie, un pays encore en temps de crise et sous couvre-feu à l’heure où nous écrivons ces lignes, davantage de transparence est un leit motiv de la contestation actuelle, formulé de la part de plusieurs partis politiques (généralement les plus radicaux, dont le Parti Pirate) à l’encontre du gouvernement de transition, invoquant essentiellement le manque de légitimité populaire de ce dernier. Dans les faits cependant, la nomination de responsables sécuritaires, voire de ministres, relève des seules prérogatives du Premier ministre qui les soumet au Président de la République, tel que Sebsi l’a d’ailleurs rappelé et revendiqué face aux critiques d’opacité, invoquant sans doute à raison la nécessité d’agir rapidement en temps de crise sécuritaire ainsi que l’impossibilité évidente de consulter l’ensemble de la société civile à chaque décision de remaniement.
Plus généralement, l’esprit anarchiste semble présider aux principes édictés dans la charte du parti, renforçant l’idée qu’il s’agit là davantage d’un parti de la contestation permanente que d’un parti de la gouvernance à proprement parler, tel qu’en atteste la virulente volte-face de ses leaders face à tous ses ex membres participant de près ou de loin désormais au gouvernement provisoire, ne serait-ce que dans le cadre de la consultation et du processus décisionnel, le mot d’ordre étant l’opposition frontale et la défiance systématique à l’égard de toute autorité gouvernementale suspecte de facto.
Si l’action du Parti Pirate allemand (le premier dans son genre) a certes contribué à des avancées libertaires et des acquis dans le domaine du téléchargement dit illégal et le contournement de sa répression, ainsi que la préservation par ailleurs de la vie privée des citoyens français dans le cas de son homologue français en lutte contre les lois LOPPSI / HADOPI, quelle peut être la pertinence de ce type de priorités dans le paysage politique actuel de la Tunisie d’aujourd’hui à l’heure de l’abolition totale de la censure du web depuis la chute du régime ? Plus problématiques sont les liens qu’entretiendrait le parti avec des groupes connus pour leur violence comme Takriz dont la page a été récemment suspendue non par le fait de la censure politique mais suite à une décision de justice du Tribunal Militaire Permanent de Tunis, suite à l’appel à la violence et au vandalisme dont ce groupuscule s’était rendu coupable.
Sorte de bras numérique de groupes eux-mêmes opaques et préconisant une pratique de l’anonymat le plus strict (voir le projet Anonymous affilié également au PPT), un tel parti contribue-t-il à une Tunisie pacifiée en employant parfois les méthodes de ceux qu’il prétend encore combattre ? Rien est moins sûr.
Seif Soudani