Ouverture de l’audiovisuel algérien au privé : une réforme en trompe l’œil ?

 Ouverture de l’audiovisuel algérien au privé : une réforme en trompe l’œil ?

Le premier ministre algérien Ahmed Ouyahia. Photo AFP.

Promesse d’une révolution médiatique, l’ouverture de l’audiovisuel au secteur privé en Algérie suscite pourtant bien des doutes.

Comme pour convaincre du sérieux des réformes annoncées en avril dernier dans le feu d’un printemps arabe qui avait alors emporté deux de ses pairs arabes (le Tunisien Zine el Abidinne Benali et l’Egyptien Hosni Moubarak), le président Bouteflika a décidé, au lendemain de la chute d’un troisième dictateur arabe (Mouammar Kadhafi), de tordre le cou au monopole de près de 50 ans de l’Etat sur le champ audiovisuel.

A l’issue d’un conseil des ministres de deux jours- du jamais vu !- tenu les 11 et 12 septembre 2011, un nouveau projet de loi organique relative à l’information a été adopté, instituant l’ouverture de l’audiovisuel au privé tout en la soumettant à une convention, une autorisation et une loi spécifique. La gestion de ce secteur sera confiée à une autorité de régulation de l’audiovisuel qui sera mise en place. L’ouverture de l’activité audiovisuelle est proposée aussi sur la base d’une convention qui sera conclue entre la société algérienne de droit privé concernée et une autorité de régulation de l’audiovisuel, validée par une autorisation délivrée par les pouvoirs publics. « Une loi spécifique relative à l’audiovisuel viendra compléter la régulation dans ce domaine », précise le communiqué du conseil des ministres.

Une ouverture sous contrôle

De tout temps hostile à toute idée de libéralisation des médias lourds, le premier ministre Ahmed Ouyahia à qui l’on a prêté un faible pour le modèle de la chaîne marocaine 2M, avec un capital privé et public, a fini par épouser l’air du temps en convenant de la nécessité de cette ouverture du secteur de l’audiovisuel mais qu’il souhaite ‘’contrôlée’’. En effet, après avoir jugé prématurée l’idée de parler d’une ouverture de l’audiovisuel, Ahmed Ouyahia a fait volte-face en juin dernier en soutenant devant les journalistes avoir proposé à la commission Bensalah, chargée de mener des consultations politiques, l’ouverture de nouvelles chaînes de télévision et de radio à capital national privé, en plus de la mise en œuvre du Haut Conseil à l’Information.

La volonté affichée par l’Exécutif  à se passer de sa mainmise sur un secteur névralgique qui lui permettait d’exercer un contrôle sur la société est-elle sincère ? Beaucoup d’Algériens en doutent. Et comme pour mettre à l’épreuve la bonne foi des autorités, la SPA El Watan, société éditrice du journal francophone du même nom, a annoncé, le 13 septembre, son intention de déposer un dossier pour le lancement d’une chaîne de télévision généraliste ainsi que d’une radio. « C’est une chaîne à vocation nationale. Elle se propose d’offrir un regard neuf sur le traitement de l’information politique, économique, sociale et culturelle avec une approche originale sur le sport, les phénomènes sociaux et les spectacles, le cinéma et les séries. La SPA El Watan compte mobiliser, pour la réalisation du projet, des ressources propres en s’appuyant sur les compétences éditoriales et technique algériennes », précise-t-elle dans un communiqué. « C’est un projet très sérieux sur lequel nous travaillons depuis des mois », explique M. Belhouchet. « Une chaîne et une radio sont des options stratégiques dans le développement d’El Watan. Les moyens techniques, les locaux, les financements existent ; la balle est du côté des autorités. », a confié le directeur d’El Watan, Omar Belhouchet au site algérien DNA. Vieux routier du journalisme algérien, Belhouchet ne cultive pas moins bien des appréhensions. « Est-ce que les pouvoirs publics comptent aller jusqu’au bout de l’ouverture en autorisant la création de chaînes généralistes, nous le saurons bientôt. Pour l’heure, notre projet servira de test », nuance-t-il.

Promesses d’une révolution… médiatique

El Watan n’est pas le seul à vouloir s’engager dans cette aventure. On prête à d’autres professionnels des médias (les directeurs des journaux arabophones El Khabar et Echourrouk) mais aussi à des hommes d’affaires ayant pignon sur rue (Issad Rebrab, Djillali Mehri, Ali Haddad…) l’intention de lancer des chaînes de télévision. Pour lever les doutes qui se sont fait jour, le ministre de la communication Nacer Mehel jurait les grands Dieu que l’ouverture annoncé verra le jour en 2012. « A mon avis, nous verrons les premières chaînes privées en 2012 », a-t-il soutenu le 19 septembre lors du forum du quotidien arabophone El Khabar, non sans préciser qu’il compte faire appel « à une compétence algérienne membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) français, en l’occurrence Rachid Arhab ».

Il faut préciser que l’ouverture de l’audiovisuel est déjà prévue dans la loi sur la formation de 1990 qui a permis à beaucoup de journaux de voir le jour. Apeurées par l’audace et l’impertinence du ton que s’était donné la presse dite indépendante, les autorités algériennes ont refusé obstinément de rééditer cette expérience dans le secteur de l’audiovisuel alors que les professionnels des médias mais aussi la classe politique n’ont de cesse de réitérer cette revendication. Conséquence de cet entêtement : l’accession de l’Algérie à l’OMC a été retardée et les autorités ont souvent essuyé des critiques sévères des partenaires de leurs partenaires étrangers surtout que l’Algérie est, en la matière, le dernier de la classe de tous les pays maghrébins. Les Algériens, eux, se sont depuis longtemps rabattus sur les chaînes étrangères pour ne pas rester otage d’une télévision nationale livrée mains et poings liés à la médiocrité. Peut-être  seront-ils reconquis par les nouvelles chaînes qui seront lancées à partir de l’année prochaine. Ainsi, faute d’avoir,  jusqu’ici du moins, son ‘’printemps politique’’ comme la Tunisie et l’Egypte, l’Algérie se contentera d’une révolution médiatique.


Yacine Ouchikh