Maroc – Mouton à tout prix
Mouton or not mouton ? La question peut sembler stupide mais son impact sur les ménages marocains est concrètement mesurable. Pour beaucoup de couples, surtout jeunes, la question ne se pose pas devant la cherté de la bête cette année. La majorité, par contre, ira jusqu’à s’empêtrer dans la dette pour s’assurer d’avoir les plus belles cornes du quartier.
A l’approche de la deuxième fête religieuse chez les musulmans, l’air se charge d’appréhension. Le mouton obsède les esprits des Marocains et prend d’assaut même les panneaux publicitaires annonçant son prochain envahissement des souks, des supermarchés et des garages improvisés points de vente informels.
« Grâce aux campagnes de vaccination contre les principales maladies contagieuses réalisées par ses services vétérinaires, l’état sanitaire du cheptel national est jugée satisfaisante », déclare joyeusement l’Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires (ONSSA). Grâce au dévouement de ce dernier, vous pouvez appeler vos vétérinaires même le jour de l’Aïd pour leur demander des conseils sanitaires et hygiéniques en rapport avec les opérations d’abattage, l’examen de la carcasse et des abats ou la conservation des viandes et des peaux.
Le ministère de l’Agriculture, quant à lui, vous rassure. L’offre disponible dépasse largement la demande. Il y a bien 6 millions de têtes, dont 4,4 millions d’ovins mâles et 1,6 million d’agnelles et de caprins. Mais rien ne vous garantit que le prix soit abordable. Si tous les produits du marché dépendent de l’offre et de la demande, les prix des animaux vifs et des viandes ne semblent pas sujets à cette loi. Sous l’effet de la flambée de l’alimentation de bétail, une augmentation de 9% par rapport à 2010 a été notée. Les professionnels du métier incriminent la hausse des prix du maïs et du fioul.
Quoi qu’il en soit, aucune hausse de prix ne semble décourager les Marocains qui voient dans la pérennisation de ce rituel un indice de bonheur et de réussite. Tout le monde est bien d’accord que le rituel l’emporte sur le volet religieux qui n’oblige en rien le pratiquant.
Un mouton à crédit
Qu’on se le dise ! La fête du mouton est tout sauf une source de bonheur. Pour beaucoup de ménages marocains, l’Aïd est synonyme de dettes, de stress, voire d’humiliation. Aussi pathétique que cela puisse paraître, il n’est pas rare d’observer des scènes de ménages et des divorces découlant de l’incapacité de l’époux d’acquérir le mouton. C’est que les frais inhérents à la fête ne s’arrêtent pas à l’achat du mouton.
Aussi petite soit-elle, la bête met les dépenses des ménages à rude épreuve, car il faut aussi remplir le garde-manger de denrées diverses, changer ses ustensiles de cuisine et acheter des vêtements neufs aux enfants. On n’hésite pas non plus à changer de réfrigérateurs ou de congélateurs, pour le grand plaisir des revendeurs qui affichent tous des rabais alléchants.
Quand soudain, survient le crédit gratuit spécial fête du mouton… Toutes ces structures de crédit qui se mettent à faire de la bienfaisance c’est très honorable ! Il suffit de payer les frais de dossier, l’assurance et le crédit est accordé sans intérêt : une notion de gratuité des plus équivoques. Beaucoup d’associations de protection du consommateur tentent d’attirer l’attention sur l’absence de gratuité dans ces offres, mais en vain. L’urgence justifie le moyen.
S’empiffrer ou s’évader ?
De plus en plus de couples choisissent actuellement de ne pas suivre le troupeau. L’Aïd pour eux garderait davantage son charme avec la corvée en moins. Aussi, ils profitent de la période où tout le monde est aux fourneaux pour des escapades de rêve au Maroc ou à l’étranger.
Un petit tour sur le net permet de constater les diverses promotions proposées par plusieurs hôteliers des villes touristiques. En raison de l’absence quasi-totale de trafic, l’offre est alléchante : un dépaysement total à Marrakech pour 3 ou 4 jours à moins de 2 000 DH pour une famille, des séjours en Italie ou en Turquie à 3 500 DH par personne pour la même période. Il y a de tout et pour tous les budgets.
Chaque année, on constate plus de voyageurs pendant cette période. Non que la tradition se perd, mais les contraintes aussi bien économiques qu’hygiéniques ou celles liées à la préparation deviennent lourdes pour le mode de vie citadin et la période réduite du congé. On choisit alors de fêter l’Aïd dans le cœur, avec les tripes en moins.
Fedwa Misk