Maroc. Les femmes manifestent en souvenir d’Amina Filali
Elles étaient des centaines à manifester samedi dernier devant le Parlement, exprimant leur colère une semaine après le décès d’Amina Filali. Originaire de Larache, cette jeune adolescente de 16 ans a mis fin à ses jours après avoir été contrainte d’épouser son violeur. Au-delà de ses circonstances tragiques, ce décès a suscité une véritable levée de boucliers parmi les militantes de même que chez certains membres de l’appareil judiciaire. (Photo AFP)
« Cette fille a été violée deux fois, la dernière quand elle a été mariée. Il faut étudier de manière approfondie cette situation avec la possibilité d’aggraver les peines dans le cadre d’une réforme de l’article (475 du Code pénal – NDLR). Nous ne pouvons ignorer ce drame », a déclaré Mustapha El Khalfi, porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication.
Un drame qui ne laisse personne indifférent au Maroc, à tel point que « l’affaire Amina » a fait le tour des médias nationaux et internationaux, bénéficiant notamment d’une couverture de la chaîne américaine CNN.
Bref rappel de faits. Alors âgée de 15 ans, Amina Filali est victime d’un viol et porte plainte auprès des autorités. En vertu du fameux article 475 du code pénal marocain, une médiation est tentée qui aboutit à un mariage, prononcé par un juge, d’une mineure violée avec son agresseur. Après un an d’humiliations et de mauvais traitements de la part de son « mari », Amina Filali met fin à ses jours en ingurgitant de la mort aux rats.
Toute aberrante qu’elle soit, cette situation est plus fréquente qu’on ne le croit au Maroc, un pays où le poids de la religion et des traditions est très fort dans certaines familles. Des arrangements sont souvent trouvés, avec la bénédiction de la justice, pour qu’une victime violée épouse son agresseur et « sauve l’honneur de la famille », la perte de virginité hors mariage étant encore perçue comme un déshonneur, viol ou pas.
Entre loi archaïque et familles consentantes
C’est pour mettre un terme à ces pratiques que des centaines de manifestants, en majorité des femmes, ont battu le pavé ce week-end devant le parlement marocain, arborant des pancartes où on pouvait lire « Mettons fin au mariage des mineures », ou encore « la Loi m’a tuer »…
Plusieurs militantes s’indignent qu’il ait fallu le décès d’une adolescente pour médiatiser le mariage des mineures au Maroc. L’article 20 du Code de la famille autorise en effet ces unions, en infraction totale de la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée d’ailleurs par le Maroc en 1993.
Bassima Hakkaoui, la ministre de la Solidarité, de la femme et de la famille, a reconnu lors d’une intervention télévisée qu’il fallait ouvrir un débat pour réformer l’article 475. Il semble toutefois que le véritable changement doive s’opérer au niveau des mentalités.
Si l’article de loi incriminé favorise en effet ce genre d’arrangement, le mariage n’est toutefois prononcé que si la famille de la victime exprime clairement son accord. Et c’est là toute l’absurdité de la situation, les familles des victimes préférant elles-mêmes donner leur fille en pâture à son agresseur, comme en témoigne Lahcen Filali, le propre père d’Amina : « Je ne voulais pas aller chez le juge pour les marier mais ma femme m’y a obligé. Elle m’a dit qu’il fallait le faire pour que les gens arrêtent de se moquer de nous, pour faire taire la honte »…
Zakaria Boulahya