Maroc – Le PJD est-il fréquentable ?

 Maroc – Le PJD est-il fréquentable ?

Abdelilah Benkirane

Ils se veulent conservateurs mais modernistes, multiplient les déclarations rassurantes sur le respect des libertés. Ils courtisent aussi bien le « petit peuple » que les milieux d’affaires. Grand favori des prochaines législatives, le parti islamiste marocain continue à faire peur à beaucoup de Marocains, en raison de certains antécédents « liberticides ». Constitue-t-il une réelle menace pour autant ?

On les dit favoris des prochaines législatives du 25 novembre. Dans les salons mondains de Rabat, les esprits s’échauffent à imaginer un Maroc dirigé par les islamistes du PJD.

Nouvelle constitution oblige, le roi Mohammed VI sera en effet tenu de choisir son premier ministre dans les rangs du parti arrivé en tête des scrutins. Un scénario qui relève encore de la politique-fiction, mais qui pourrait bien se concrétiser vendredi prochain. Au grand dam des modernistes qui redoutent une gestion « médiévale » de la chose publique sous le règne des barbus.

Malgré l’étiquette de « parti islamiste modéré » que ses leaders tentent de véhiculer auprès de l’opinion publique, malgré le parallèle qu’ils tentent d’établir avec le Tunisien Ennahdha ou encore l’APK turc, il n’en demeure pas moins que pour beaucoup de Marocains, la victoire du parti de la Lampe représente une menace pour les libertés publiques.

Une inquiétude particulièrement vivace dans les rangs des féministes. Il faut dire que le PJD traîne des casseroles qui apportent de l’eau au moulin de ses détracteurs…

Un « Etat » musulman

La question de l’héritage est celle qui revient le plus fréquemment, l’égalité en la matière entre hommes et femmes étant l’une des lignes rouges du parti. Son secrétaire général, Abdelilah Benkirane, ayant assuré à maintes reprises qu’en aucun cas « il ne pouvait modifier les dispositions du texte sacré ».

Mieux, le PJD s’est même assuré que la nouvelle constitution stipule que le Maroc est un « Etat musulman » (et non un « pays musulman »). Reléguant aux oubliettes les aspirations des militants qui espéraient voir la laïcité consacrée au royaume chérifien.

Cette rigidité, le PJD l’applique également à des sujets de société. Plusieurs ténors du parti ont critiqué le foisonnement de festivals au Maroc, les assimilant volontiers à des « lieux de débauche ». Le parti de la Lampe n’hésite pas à monter au créneau lorsqu’il estime qu’une œuvre artistique est « contraire aux bonnes mœurs ».

La comédienne marocaine Latifa Ahrare en a fait les frais parce qu’elle a « osé » se mettre en sous-vêtements dans une pièce de théâtre… Des films comme « Marock » ou encore « Casanegra » ont fait l’objet des mêmes critiques acerbes des barbus. Alors le PJD, loup ou agneau ?

Conscient de l’image de taliban qui, à tort ou à raison, est véhiculée par les membres de son parti, Benkirane multiplie les déclarations rassurantes lors de cette campagne électorale. Affirmant qu’en cas de victoire, le PJD ne chercherait jamais à restreindre les libertés dont jouissent les Marocains.

Opération séduction

Alors qu’on lui reprochait son populisme, c’est une véritable opération séduction que le parti de la Lampe a initié. N’hésitant pas à courtiser les milieux d’affaires, surtout les femmes.

Le programme du parti comprend d’ailleurs une série d’actions en faveur des PME, ainsi que d’autres mesures telles que l’allègement des impôts pour les classes moyennes et modestes (contre une taxation plus lourde des classes aisées) et le relèvement du Smig à 3 000 DH.

Si son programme semble cohérent, d’aucuns doutent de la capacité du PJD à mener à bien les affaires publiques, puisque l’expérience de ses membres se limite à la gouvernance locale. Qu’importe, cela n’entame en rien l’enthousiasme des islamistes qui se voient déjà à la primature.

Il est vrai que le PJD est très bien implanté dans les principales villes marocaines, lui conférant une base populaire qui pourrait bien faire pencher la balance électorale en sa faveur. Toutefois, bien malin celui qui peut prédire l’issue du scrutin du 25 novembre.

Une seule chose est sûre : quel que soit le parti qui remportera ces législatives anticipées, l’atomicité du champ politique marocain le contraindra à composer avec les autres formations. Benkirane a même déclaré à la presse marocaine que « si nous gagnons mais que n’arrivons pas à former une majorité, nous rendrons les clés du gouvernement au roi ».

Dans un tel contexte, il est peu probable que le PJD puisse apposer son empreinte comme il l’entend sur les sujets de société, à supposer que ses ténors en aient l’intention. Nous verrons bien…

Zakaria Boulahya