Maroc – L’affaire Ben Barka : l’éternelle quête de vérité
Quarante-six ans se sont écoulés depuis l’enlèvement du leader marocain Mehdi Ben Barka en plein cœur de Paris. C’est là même, devant la brasserie Lipp que des militants associatifs, personnalités et simples citoyens se sont donné rendez-vous samedi dernier pour rendre hommage au plus emblématique des disparus politiques de l’histoire contemporaine du Maroc.
Bachir Ben Barka, toujours intraitable sur l’affaire de son défunt père, ne recule pas dans sa quête de la vérité. « Notre stratégie dans la révélation du sort de Mehdi Ben Barka ne change pas. Nous nous orientons vers l’appareil judiciaire et l’opinion publique pour faire pression sur les autorités qui ont le monopole de la vérité. Nous travaillons côte à côte avec les organisations non gouvernementales des droits humains, mais aussi le gouvernement… Nous attendons de rencontrer directement les représentants du Conseil national pour les droits de l’homme pour ré-ouvrir ce dossier. Ce que nous craignons, c’est de répéter le scénario qui s’est passé avec le Conseil consultatif des droits de l’homme à l’époque de l’ex président, qui a refusé d’activer la mise en œuvre des recommandations de la Commission Justice et Réconciliation», dit-il dans une interview accordée à Almassae.
Pour l’Histoire…
L’Histoire décrit Mehdi Ben Barka comme l’opposant le plus farouche du roi Hassan II, son ancien élève au Collège royal. Faisant partie des grands résistants au protectorat français au Maroc, il s’engage fermement dans la scène politique en 1943, en participant à la création du Parti de l’Istiqlal et en jouant un rôle considérable dans les négociations ayant mis un terme à l’exil du roi Mohammed V.
Il occupera la place de président de l’Assemblée consultative à la fin du protectorat, de 1956 à 1959. Mais exaspéré par le conservatisme du parti qu’il a lui-même fondé, Ben Barka crée l’Union nationale des Forces populaires (UNFP) en 1959, s’érigeant ainsi en potentiel opposant de la monarchie.
A l’arrivée de feu Hassan II au pouvoir, Ben Barka n’a d’autre choix que de s’exiler en France. Le souverain déclare alors vouloir la paix avec son principal opposant. Ben Barka rentre au Maroc et échappe, quelques mois plus tard, à un curieux accident de voiture. Derrière cette tentative, le général Oufkir, alors ministre marocain de l’intérieur, et le colonel Dlimi sont les principaux suspects. Juin 1963, accusé de complot contre la monarchie, Ben Barka s’exile à nouveau à Paris. Il est jugé pour complot et tentative d’assassinat contre le roi.
Toutes les versions
Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka est abordé par deux policiers français devant la brasserie Lipp sur le boulevard Saint-Germain. Ils l’escortent dans la villa de Georges Boucheseiche, à Fontenay-le-Vicomte. Le chef d’escale d’Orly Antoine Lopez finit par confier, en 2000, dans les tribunes du Parisien, que c’est Boucheseiche qui aurait asséné un coup accidentellement fatal à Ben Barka, ce dernier s’étant débattu à la vue du général Oufkir.
Aucune trace du corps n’a été retrouvée, en tout cas. Plusieurs versions sur l’endroit de son exécution ou de son enterrement sont données par Lopez, par d’anciens prisonniers politiques ou encore par des agents secrets marocains.
En 2001, Ahmed Boukhari, ex agent secret du « Cab 1 », affirme avoir assisté à l’exécution de Ben Barka. Selon lui, Oufkir et Dlimi sont à l’origine de la mort du leader. Ben Barka aurait été transporté au Maroc où son corps aurait été dissous dans une cuve d’acide.
En 2009, l’écrivain Georges Fleury avance que le corps pourrait avoir été incinéré dans l’Essonne. Il affirme être en possession d’un rapport de gendarmerie inconnu consacré à la disparition de l’opposant marocain.
Quarante-six ans après ce kidnapping, des gens âgés et jeunes manifestent toujours pour arracher des aveux complets sur le plus important crime d’Etat perpétré par le Maroc en complicité avec la France. Après un demi-siècle, le besoin de connaître toute la vérité sur cette affaire demeure intact. A quand un vrai mea culpa franco-marocain ?
Fedwa Misk