Maroc – Abdelilah Benkirane du PJD : « Les MRE allaient voter pour nous ! »

 Maroc – Abdelilah Benkirane du PJD : « Les MRE allaient voter pour nous ! »

J’ai l’impression que c’est à cause de notre parti que les MRE n’ont pas eu leur propre liste

C’est un Benkirane très sûr de lui qui nous reçoit au siège du parti, du moins en apparence. Le personnage est peu connu pour son calme, mais c’est dans un moment de sérénité qu’il répond aux questions du Courrier de l’Atlas. MRE, amazighité, nos étudiants à l’étranger face à la circulaire Guéant, prochaines élections… Voici ce que pense le secrétaire général du Parti de la Justice et du Développement des sujets brûlants de l’actualité marocaine.

 

LCDA : Pourquoi avez-vous négligé les MRE ?

Abdelilah Benkirane : Nous ne les avons jamais négligés ! Nous avons demandé qu’ils aient le droit de vote depuis leur pays d’accueil, qu’ils aient le droit de se présenter comme tous les Marocains, qu’ils aient une liste pour eux. Nous avons bataillé pour cela au ministère de l’Intérieur avec les secrétaires généraux des partis, puis au parlement. Mais, ça n’a pas été accepté. Que voulez-vous, c’est la démocratie. Ils avaient la majorité. Mais on ne va pas s’arrêter là.

Pour ce qui est de notre parti, on a mis une MRE à la troisième place sur la liste des femmes : Nezha Elouafi  qui est déjà parlementaire. Sur la liste des jeunes, on avait un jeune homme très bon qui allait sûrement passer, mais quand il est parti chercher son inscription sur les listes électorales, il s’est retrouvé rayé des listes. C’est vraiment dommage !

Savez-vous que les MRE manifestent le 13 novembre contre le vote par procuration ?

Le vote par procuration, c’est une insulte ! Une façon de dire que les MRE étaient bons quand il s’agissait de faire passer le référendum et que maintenant qu’il s’agit de législatives, ils ne servent plus à rien.

Que pensez-vous qu’ils obtiendront ? Quel serait votre message pour eux ?

Ils ne vont rien obtenir. Au PJD, on a fait ce qu’on pouvait. Je leur dis de continuer à se battre, il ne faut pas lâcher, c’est leur droit. Et à vrai dire, j’ai l’impression que c’est à cause de notre parti que les MRE n’ont pas eu leur propre liste. Ceci n’est qu’un sentiment personnel, mais je crois qu’on a senti que si jamais il y avait une liste pour les MRE, il y aurait un vote massif pour le PJD. D’ailleurs, les  élections de la Tunisie l’ont quelque part prouvé. Les Tunisiens de l’étranger ont voté massivement pour Ennahdha.

Justement, pourquoi pensez-vous que les partis religieux ont du succès auprès de la communauté maghrébine à l’étranger ?

Nous ne sommes pas des partis religieux, mais des partis de référentiel islamique. Et nos succès sont compréhensibles. Ce n’est que la démocratie ! Nous sommes restés dans l’opposition durant des décennies, pendant que les autres sont passés aux affaires.

En Tunisie, Ennahdha  a souffert. C’est un parti qui a défendu des valeurs, c’est pour cette raison que les gens ont voté pour lui. Au Maroc des années 70, ça aurait été la gauche, par exemple. Ça n’a rien à voir avec la religion.

Il faut comprendre une chose, si les citoyens devaient choisir entre la religion et les affaires, ils voteraient pour les affaires. Mais s’ils ont un parti qui respecte leur référentiel et qui est sérieux dans les affaires, ils ne vont pas le lâcher. Par contre, si demain Ennahdha manquait à ses engagements, les Tunisiens l’abandonneraient tout simplement.

La communauté des amazighs, en tout cas, est fâchée contre vous !

Les amazighs n’ont pas de raison d’être fâchés contre moi. Je ne suis ni contre l’amazighité, ni contre la langue amazigh. D’abord, parce que je suis Marocain et un Marocain ne sait jamais s’il est vraiment d’origine arabe ou berbère.

Depuis qu’on était jeunes d’ailleurs, on entend dire que nos origines proviennent du Souss, et c’est même écrit noir sur blanc dans l’histoire de ma famille. Mais ça n’est pas ça le problème. Le problème concerne le Tifinagh. Dans la transcription de la langue amazighe, on voulait utiliser l’alphabet arabe pour permettre à une grande population de lire cette langue plus facilement ; la compréhension serait venue petit à petit. Assid & co voulaient l’alphabet latin, et l’arbitrage royal a choisi le tifinagh. Les amazighs l’ont mal pris.

Mais si je les ai blessés, je leur présente mes plates excuses. Je suis un être humain, je peux me tromper et je n’ai pas de problème à le reconnaître. C’est une communauté qui m’est très chère et elle me le rend très bien d’ailleurs.

Que pensez-vous des rapports de think tank américains et européens ?

J’ai lu un article sur Al Ahdat Almaghribia qui parlait de 9% des voix pour le PJD. D’abord, nous avons eu 15%. Je crois qu’on a donné à ces gens les résultats des élections communales de 2009 et non des législatives. Aux communales, nous avons présenté 9 000 candidats sur 27 000 sièges, on a eu la 6ème place. C’est plutôt honorable. Pour les législatives, on a couvert presque toutes les circonscriptions.

Pensez-vous qu’il existe une manipulation médiatique qui tend à vous évincer ?

Je ne peux être sûr de quoi que ce soit et ça ne m’intéresse pas de le savoir. Les Européens et les Américains sont nos partenaires politiques et économiques ; je ne compte pas changer cela. Tout ce que j’espère, c’est de mettre un peu plus d’équilibre dans cette relation.

On dit que vous n’avez pas de succès auprès du monde rural…

Le monde rural est plus contrôlé que le monde urbain. Mais nous sommes en train d’avancer doucement. De toute façon, gagner ce n’est pas avoir 50%. Si t’as 20%, t’es en tête et le PJD avait déjà 15% il y a 5 ans. Maintenant, si on n’est pas premier, il n’y a pas de problème. L’essentiel, c’est que les élections soient transparentes et que le peuple s’y reconnaisse, lui, et non les Américains ou les Français.

Avez-vous pris connaissance de la circulaire Guéant ? Est-ce que cela arrange le Maroc de voir débarquer ces « méga-cadres » surtout sans expérience et sans perspectives d’emploi au Maroc ?

Ce n’est pas très honorable pour la France, certes. Maintenant, pour le Marocain diplômé, je pense qu’il aura quoi faire dans son pays. Evidemment, l’expérience sert beaucoup, mais je crois que le savoir qu’il acquiert à l’étranger est très important. C’est finalement peut-être une aubaine pour le Maroc. Cependant, la plupart des cadres, quand ils séjournent plus de 5 ans en France, prennent goût à la vie là-bas et ne veulent plus rentrer. Disons, en tout cas, que le Marocain est toujours le bienvenu chez lui.

Mais est-ce que la conjoncture économique actuelle du pays le permet ?

C’est à ces jeunes-là de venir changer la conjoncture actuelle. On les a envoyés là bas, les parents ont payé très cher leur éducation, l’Etat a déboursé de l’argent pour les former. Nous n’attendons pas d’eux qu’ils viennent pour prendre une monture que nous leur aurions préparée ; c’est à eux de préparer leur monture et je crois qu’ils en sont capables.

Que pensez-vous de l’affaire Charlie Hebdo ?

Je suis absolument contre la violence. Evidemment, je ne cautionne pas ce qu’a fait le journal. C’est absolument condamnable de toucher les gens dans leurs croyances. J’invite à ce titre les journalistes français à respecter les gens, même s’ils sont minoritaires. Mais je suis désolé pour l’acte qui a été commis. Les réactions violentes n’ont jamais été une solution.

Y a-t-il des coalitions qui se préparent pour le PJD ?

Bien sûr ! Nous nous sentons plus proches de la Koutla que du G8, mais ce sont là des décisions qu’on prendra après les élections, pas avant.

Fedwa Misk