Maghreb. Moncef Marzouki suscite la polémique à Alger

 Maghreb. Moncef Marzouki suscite la polémique à Alger

Les autorités algériennes n’ont pas apprécié que leur pays soit cité par Moncef Marzouki comme contre-exemple démocratique

La visite du président tunisien Moncef Marzouki à Alger, le 19 janvier prochain, aura un cachet particulier : elle interviendra au lendemain d’une polémique créée par ses déclarations à l’emporte-pièce concernant l’Algérie, faites lors de son séjour à Tripoli, début janvier.

 

Lors de sa visite à Tripoli, Moncef Marzouki est allé jusqu’à reprocher aux Algériens l’arrêt du processus électoral en 1991 « privant ainsi les islamistes du Front islamique du Salut (FIS) », aujourd’hui interdit, « de leur victoire électorale ».

Sans prendre la moindre précaution langagière, Moncef Marzouki a soutenu que « si les Algériens avaient accepté les résultats des votes, le pays n’aurait pas sombré dans la violence et les bains de sang ». Mieux, il s’est permis de  recommander le « respect de la victoire des islamistes » au risque de voir « se répéter un incident à l’Algérienne dans les années 90 ».

Même si elles n’ont pas réagi officiellement, il semblerait que les autorités algériennes aient été touchées dans leur amour-propre et qu’elles aient très mal apprécié que leur pays soit cité par le tout nouveau dirigeant de la nouvelle Tunisie comme contre-exemple démocratique.

Au vrai, Alger qui s’est rangée depuis le printemps arabe du côté des régimes autoritaires, est fortement courroucée par les positions des nouvelles autorités tunisiennes sur certains dossiers diplomatiques (Libye, Syrie, etc).

Des journaux crient à l’ « ingratitude » du président tunisien

En témoigne cette levée de boucliers chez certains journaux, catalogués à tort ou à raison comme proches de certains cercles du pouvoir, qui se sont élevés contre l’affront fait par le président tunisien aux Algériens.

« Depuis qu’il est arrivé au pouvoir comme président de transition, le nouvel homme fort de la Tunisie n’en finit pas de multiplier les petits affronts envers son voisin algérien », a écrit le journal électronique Tout sur l’Algérie (TSA) dans un article au vitriol publié le 4 janvier sous le titre : « Les petits affronts du président tunisien au pouvoir algérien ».

Dans ce procès qui lui est intenté, le président tunisien s’est vu reprocher une foultitude de crimes de lèse-majesté. TSA ne s’explique pas le choix de M. Marzouki de consacrer sa première visite diplomatique à la Libye postrévolutionnaire, allant jusqu’à l’assimiler à de l’ « ingratitude ». 

« Pour sa première visite à l’étranger en tant que chef de l’État tunisien, il choisit donc la Libye, et non le « grand voisin », le « grand frère », la « grande puissance régionale » que l’Algérie entend continuer de représenter. Une marque d’ingratitude, alors que la petite Tunisie a reçu à la mi mars 100 millions de dollars d’aides de l’Algérie », s’est-il offusqué.

En évoquant la perspective de mettre en place un « ‘’noyau’’ tuniso?libyen autour duquel il souhaite redynamiser l’Union du Maghreb arabe (UMA) », le président tunisien s’est vu accusé de « vouloir redistribuer les cartes des influences et des partenariats au Maghreb ».

Et TSA de menacer : « Ce rapprochement entre la Tunisie et la Libye est de nature à favoriser un virage vers l’Ouest pour l’Algérie, dont les relations avec le Maroc semblent connaître un sérieux nouveau départ ».

Autre « incartade » diplomatique attribuée par TSA au président tunisien : son soutien franc à l’opposition syrienne qui s’est réunie mi-décembre 2011 à Tunis. « Marzouki sait pourtant à quel point la question syrienne est sensible pour le pouvoir algérien, qui hésite à trop s’avancer dans la critique du régime d’Assad », a déploré le journal de Lounès Guémache. 

Ensuite, énième reproche fait aux autorités tunisiennes : jouer le jeu du Qatar au Maghreb. « À en croire les déclarations de certains responsables d’Ennahdha se disant prêts à recevoir des responsables de l’ex FIS en Tunisie, l’Algérie est en droit de penser que la Tunisie veut aussi jouer le jeu du Qatar, potentiel repère d’islamistes comme Abassi Madani», expliquait TSA qui s’est permis d’égratigner le président tunisien pour son opportunisme mais aussi pour son pragmatisme.

Le RCD prend le parti de Marzouki 

Un des rares partis algériens à prendre faits et causes pour les révolutions qui s’étaient déclenchées dans les pays de la région, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) a vigoureusement dénoncé cette « salve réglée comme du papier à musique » contre le président tunisien.

« Personne ne pourra empêcher un président issu d’une Assemblée démocratiquement élue de se prononcer en toute souveraineté sur la politique suivie par son voisinage », a-t-il souligné dans un communiqué rendu public le 8 janvier.

« Les sites internet ou les journaux papiers proches du DRS ont simultanément attaqué le président tunisien Moncef Marzouki qui a osé réserver sa première visite à la Libye et non à l’Algérie. Les mots et les arguments utilisés sont partout les mêmes et repris à l’unisson : président par intérim, dirigeant d’un petit pays, homme ingrat qui ose dire que l’Algérie aurait dû faire comme la Tunisie et laisser le FIS diriger le pays en 1991. Les plumitifs des services algériens, à qui il est arrivé d’être mieux inspirés dans les polémiques, sont décidément sous haute tension », a dénoncé le parti de Said Sadi.

Et le RCD d’ajouter : « Croire que la Tunisie qui avance, s’adapte et évolue est toujours tenue d’être une de nos wilayas, comme aimait à se le dire le FLN au bon vieux temps de Boumediene, démontre la pitoyable déconnexion des pupilles du parti unique ».

Ceci dit, le RCD ne s’est pas privé de montrer du doigt les « vraies failles » du raisonnement du président tunisien qui a mis sur un pied d’égalité les dirigeants de l’ex-FIS pour lesquels la démocratie est « kofr » et les islamistes tunisiens qui acceptent le jeu démocratique.

« A l’inverse des dirigeants du FIS, M. Ghanouchi n’a pas dit au lendemain de sa victoire que ceux qui ne se soumettaient pas à ses décisions devaient quitter le pays, qu’il fallait que les citoyens adoptent les habitudes vestimentaires et alimentaires de ses militants ou passer devant des tribunaux populaires… », explique le RCD.

Reste à savoir si le président algérien abordera de front, le 19 janvier, ces questions avec son homologue tunisien et s’il lui réservera le même accueil triomphal que celui dont avait bénéficié Rached Ghannouchi en décembre de l’année dernière.

Yacine Ouchikh