Maghreb. Jours difficiles pour la Tunisie
La fête n’aura duré qu’un temps en Tunisie. Au lendemain des commémorations de la révolution, un an après, l’intérieur du pays s’embrase avec le retour des mouvements sociaux de grande ampleur. Le gouvernement ne tient plus le pays et les esprits s’inquiètent. Les signaux économiques sont dans le rouge.
Grèves, sit-ins, manifestations, un trio infernal qui reprend de plus belle et ponctue des jours qui se suivent et se ressemblent en Tunisie. Sauf que cette fois, les troubles sociaux s’étendent à la capitale.
« Le gouvernement fait la fête et Makthar se consume », pouvait-on lire dans cette délégation sinistrée de la région nord-ouest qui s’impatiente devant les promesses gouvernementales tardant à venir.
Dans le gouvernorat de Béja, nouvel épicentre de la contestation, les célébrations du 14 janvier n’étaient pas encore terminées que des manifestants s’en sont pris aux fêtards en leur signifiant violemment qu’il n’y avait pas de quoi se réjouir.
A Séliana, les localités de Kessra et Bourouis sont paralysées, les ouvriers y barrent l’accès aux véhicules. Quant à Jandouba, des habitants de Fernana, Aïn Drahem et Ghar Dima ont même fait le déplacement à Carthage, pour observer un sit-in devant le Palais présidentiel. Ils entendent ainsi attirer l’attention sur l’urgence de leur situation économique désastreuse.
A Gafsa, 40 employés municipaux sont entrés dans une grève de la faim.
Fait nouveau, le chômage touche à présent des villes côtières comme Nabeul et Monastir, théâtres de soulèvements populaires à leur tour.
Devant le siège du gouvernorat de l’Ariana, ce sont cette fois 15 marchands ambulants qui menaçaient lundi de s’immoler par le feu devant la municipalité, après leur évacuation par les forces de l’ordre.
Enfin, l’UGTT, principal syndicat ouvrier du pays, annonce une grève générale pour le mercredi 25 janvier. En cause, le maintien décidé par le gouvernement des activités du secteur de la sous-traitance.
L’impasse est aussi politique
Dans le sud, plusieurs sièges de gouvernorats sont même contraints à la fermeture, comme à Gabès et Tozeur, où des gouverneurs ont dû être évacués par les militaires, suite aux menaces de séquestration.
Ce qui a poussé le ministre des Affaires sociales à expliquer lors d’un difficile exercice de communication au JT de 20h : « Comment voulez-vous que s’instaure un climat propice à la mise en œuvre des nouveaux investissements et des mesures de réforme de décentralisation, si les gouverneurs eux-mêmes sont reclus chez eux et dans l’impossibilité de travailler ? » s’indignait-il.
Samir Dilou porte-parole du gouvernement, de plus en plus en difficulté et sur la défensive, symbolise ce déficit d’autorité du gouvernement. Empêtré dans l’affaire de l’indemnisation des familles des martyrs de la révolution, il martèle son appel à plus de compréhension de la part des manifestants, et à tenir compte de la situation particulière par laquelle passe le pays.
A l’urgence des demandes sociales répond l’impréparation du nouveau gouvernement et le manque en experts, dénoncé notamment par Yadh Ben Achour sur les ondes d’une radio nationale hier mardi.
Pour compliquer encore un peu plus la donne, même le pouvoir judiciaire est aux abois : les hauts officiers de police ne se rendent pas à leurs convocations judiciaires. Des mandats d’amener ont été émis à l’encontre de trois hauts officiers de police, convoqués au Tribunal militaire permanent du Kef. Deux d’entre eux ont fourni des certificats médicaux comme motif pour ne pas se déplacer, dont Moncef Laâjimi, directeur général des forces d’intervention, récemment écarté par le nouveau ministre de l’Intérieur Ali Laâridh.
Des affrontements violents ont par ailleurs opposé des étudiants appartenant à la mouvance islamiste à des étudiants de l’UGET à la Faculté des Lettres de Sousse en début de semaine.
Après la Manouba, la contamination de ces troubles s’étend à d’autres facultés de sciences humaines du pays, lesquelles se transforment en champ de bataille entre islamistes et étudiants progressistes, en l’absence de volonté politique d’apaisement.
Les prochains jours seront décisifs pour le devenir du pays à moyen terme : s’il s’enlise dans la crise politique et la désobéissance civile, la troïka au pouvoir, déjà fissurée par des luttes intestines (le cas Abbou, ministre CPR chargé de la réforme administrative que l’on dit démissionnaire, est potentiellement explosif) risque d’imploser, menant le pays vers toujours plus d’incertitude.
Seif Soudani