Les Tunisiens et le G8, entre attraction et répulsion
« Les 10 millions d’experts en foot, devenus experts en politique après le 14 janvier, se posent maintenant en fin économistes ! », pouvait-on lire entre autres réactions sur les réseaux sociaux tunisiens, à la veille du sommet du G8 qui se tient les 26 et 27 mai à Deauville en France. C’est qu’avec la libération de la parole dans la Tunisie post-révolutionnaire, les Tunisiens comptent bien faire entendre leur voix jusqu’en France où une délégation tunisienne, composée notamment de membres du gouvernement provisoire et d’économistes, est partie solliciter l’aide du G8, lors d’une réunion qui s’annonce historique en ce qu’elle aura justement à l’ordre du jour le soutien économique des grandes puissances au Printemps arabe, Tunisie et Egypte en tête, mais aussi son accompagnement politique.
Un soutien que certains chefs d’État occidentaux appellent de leurs vœux, soucieux de ne pas rater pareille occasion de concrétiser la promotion de certains idéaux dans les faits, une opération séduction parfois d’abord en direction de leurs propres peuples respectifs, Nicolas Sarkozy le premier, lui à qui on reproche encore le fait d’avoir raté le coche de la révolution tunisienne, après plusieurs cafouillages diplomatiques.
« G8 Dégage ! » un slogan qui a les moyens de sa politique ?
Le sommet n’a donc pas encore commencé que déjà de nombreuses voix s’élèvent pour décrier ce qu’elles considèrent comme « un néocolonialisme de l’endettement », les souverainistes, anticapitalistes et autres altermondialistes tunisiens imitant leurs homologues français qui, dès le 21 mai, menèrent une vaste campagne anti G8, reprenant le désormais célèbre « Dégage ! », apparu 4 mois plus tôt en Tunisie. Procès d’intention ou volonté de faire pression en amont dans l’affirmation d’une volonté d’indépendance totale, quoi qu’il en soit, certaines revendication telles que « les peuples d’abord, pas la finance » ou plus simplement « I hate G8 », peuvent sembler bien simplistes au regard des enjeux de la conjoncture actuelle, dont la reconstruction en l’occurrence d’une Tunisie économiquement assainie, après des années de corruption suivis d’une crise prévisible, ponctuelle mais profonde, touchant tous les secteurs vitaux dont le tourisme qui vivra certainement une année noire suite à l’instabilité de la situation sécuritaire.
Dans ces conditions, s’endetter avant de pouvoir aller mieux, voire être encore plus prospère, semble incontournable, d’autant que les futurs créanciers ont promis des taux d’intérêt exceptionnellement bas. N’oublions pas en effet que le plan Marshall avait sauvé l’Europe de la banqueroute après la Seconde guerre mondiale.
Par ailleurs, la représentation tunisienne entend négocier certains aspects clés : selon Elyès Jouini, ministre chargé des réformes économiques et sociales, outre un soutien financier, la Tunisie demandera « un libre accès de ses produits aux marchés européens et de la zone US, un accord d’intégration approfondie avec l’UE et enfin un partenariat de mobilité touchant notamment les étudiants, les enseignants, les chercheurs et les entrepreneurs. »
Réalité de la dette tunisienne : une donnée trop souvent méconnue
Alors que lors de la crise économique qui a débuté en 2008 et connu un pic dramatique en termes de croissance mondiale l’année suivante avec une récession sans précédent depuis la crise de 1929, la Tunisie avait relativement bien résisté à la tempête, sans doute grâce à une économie globalement saine, même à l’épreuve des dérives mafieuses de l’ex régime Ben Ali. En effet, l’angle économique est probablement le moins légitime s’agissant de critiquer celui-ci, tant les chiffres macroéconomiques auront limité les dégâts de la corruption. Avec une dette publique s’élevant à moins de 50% de son PIB en 2010, la Tunisie se situe dans une bonne moyenne mondiale. Et preuve que l’endettement ne saurait être un critère de stabilité politique ou démocratique, la Libye de Kadhafi est le pays le moins endetté au monde, avec un endettement quasi nul.
Les finances publiques se portent donc assez bien, elles ont été un des rares secteurs correctement gérées par l’ancien régime, les grands équilibres sont encore bons et le déficit budgétaire n’est pas loin d’être exemplaire pour un pays émergeant.
Malgré tout, en l’absence de ressources naturelles importantes, s’endetter demeure un mal nécessaire, voire primordial si la Tunisie veut continuer à se développer, à condition d’investir l’argent de la dette à bon escient, à commencer par les grands travaux d’infrastructure et la régionalisation, dont la nécessité est d’ores-et-déjà un des acquis ambitieux de la révolution, un acquis en devenir toutefois, que les 25 milliards de dollars d’aide immédiate du nouvel emprunt nécessaire à la transition économique selon Joseph Stiglitz (Prix Nobel d’économie), ne seront pas de trop pour réaliser.