Les plus impopulaires des nouveaux ministres tunisiens

 Les plus impopulaires des nouveaux ministres tunisiens

Rafik Ben abdessalem

En mettant fin hier jeudi à l’Arlésienne de la tant attendue annonce de la composition du nouveau gouvernement, Hamadi Jebali savait sans doute qu’il ne risquait pas de surprendre une opinion déjà largement préparée par des fuites plus ou moins orchestrées. Sans surprise, Ennahdha s’octroie tous les ministères régaliens hormis la Défense. Et figurent à des postes clés des personnalités déjà parmi les plus honnies du pays, avant même d’avoir effectué la passation des pouvoirs.

Le parti islamiste s’est aussi attribué les ministères de la Santé, du Transport, de l’Enseignement supérieur, de l’Environnement, de l’Agriculture, du développement régional, de l’Investissement et de la coopération internationale, mais aussi du fraîchement créé ministère des Droits de l’homme. « Un contre-sens » pour certains les militants de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme qui commentaient la nomination d’un nahdhaoui à ce portefeuille.

Proposé par Ettakatol aux Finances, l’indépendant Hassine Dimassi est en outre critiqué pour son inexpérience. Ce professeur certes reconnu d’économie n’avait auparavant jamais exercé de responsabilités et reste totalement étranger au monde de l’entreprise.

Des applaudissements consensuels ont suivi l’annonce du nom de chaque nouveau ministre hier à l’Assemblée constituante, donnant des airs de cérémonie à la séance du vote de confiance au nouveau gouvernement Jebali. « Une ambiance RCDiste » dénoncée aussitôt sur les réseaux sociaux tunisiens.

Mais l’atmosphère festive n’a pas fait long feu. Ce matin vendredi, dès l’ouverture des débats, Salma Baccar (PDM) fustigeait le nombre important de ministres dans le nouveau gouvernement (41 + 4), ainsi que la présence persistante de ce qu’elle a appelé le « fléau des gendres ».

Rafik Ben Abdessalem, symbole du retour du népotisme

Le choix du nouveau chef de la diplomatie tunisienne fait grincer les dents de beaucoup de Tunisiens, et pas que dans l’opposition qui réclamait ce matin le droit d’avoir accès à son CV.

Epoux de Soumaya Ghannouchi, ce gendre du nouvel homme fort du pays reste relativement méconnu en Tunisie. Ex chef de la Division des recherches et d’études au centre Al Jazeera, il a émigré dès les années 90 au Maroc puis en Grande-Bretagne où il obtient un doctorat en politique et relations internationales à l’Université de Westminster.

Son maintien aux Affaires étrangères au lendemain d’une révolution qui portait des slogans anti népotiques illustre une certaine arrogance de la part du nouveau pouvoir qui se risque à ignorer les vives critiques de la société civile sur ce point.

Noureddine Khadmi, un fondamentaliste aux Affaires religieuses

Le moins que l’on puisse dire est qu’Ennahdha n’a pas souhaité envoyer de signaux d’apaisement avec la nomination d’un personnage aussi controversé que Khadmi au ministère pourtant sensible des Affaires religieuses.

Les séquences vidéo de nombreuses interventions dans les médias de cet exégète plutôt orthodoxe du Coran commencent à fleurir sur le net. Celui qui aime à se présenter comme penseur musulman y apparait davantage comme prédicateur islamiste. Ainsi, pour lui, le port du voile est « sans l’ombre d’un doute une obligation en islam ».

Lors d’une autre intervention dans une association coranique, on peut le voir tenir des propos à teneur théocratique, où il lie activisme politique et prosélytisme religieux. Il y cite en exemple le grand mufti d’Arabie Saoudite.

Un radical dont l’œuvre en tant que ministre sera, à n’en pas douter, suivie de près par les défenseurs des libertés en Tunisie.

Moncef Ben Salem, un conspirationniste à l’Enseignement supérieur

Ingénieur, docteur d’état en mathématiques, Ben Salem est le fondateur du département de mathématiques de l’université de Sfax, ville où il fut assigné à résidence durant les années 80-90, entre deux séjours prolongés en prison pour son activisme islamiste.

Quelques jours après la révolution du 14 janvier, il se livre au milieu de ses partisans à une longue tirade où il se fait le relai de toutes sortes de théories du complot, à propos du « sionisme de Bourguiba » et du fait que le Code du Statut Personnel est une exigence post coloniale « négociée par la France ».

Au moment où il est pressenti pour le ministère de l’Enseignement supérieur, il n’a pas encore le grade de Professeur. Selon ses collègues, il passe un mois plus tôt l’habilitation à diriger la recherche en quelques jours, alors qu’il ne dispose que de 4 publications dont la plus récente date de 1982.

Au-delà des soupçons de favoritisme, l’homme reste très impopulaire, spécialement auprès des universitaires des facultés des arts et des sciences humaines qui, au moment où leurs institutions subissent de plus en plus d’intimidations intégristes, craignent que l’avènement d’un ultra conservateur ne complique encore la donne.

Ils prônent d’ores et déjà la désobéissance générale face à un ministre de tutelle qu’ils sont nombreux à ne pas reconnaître.

Seif Soudani