Les islamistes marocains refusent la liberté de croyance
Tout est parti d’une petite phrase au détour d’une dépêche de l’AFP : le projet de nouvelle constitution actuellement en phase finale d’élaboration devrait prévoir que « l’islam est la religion de l’Etat mais la liberté de croyance est garantie dans le cadre de la loi et sans que cela porte atteinte à l’ordre public ». Une déclaration qui a suffi à susciter une réaction très vive du leader du principal parti islamique légal, le Parti de la justice et de développement, fort de 46 députés à la Chambre basse.
« Nous ne sommes pas contre la liberté de croyance, mais nous craignons les conséquences de cette disposition sur notre identité islamique », a déclaré Abdelilah Benkirane, le secrétaire général du parti, n’hésitant pas à mélanger d’entrée de jeu deux concepts différents. Et de s’interroger : « Que signifie liberté de croyance ? Qu’on permette à certains laïcs de rompre publiquement le jeûne pendant le ramadan ? Que la liberté sexuelle et l’homosexualité soient banalisées et publiques ? » L’homme politique s’est défendu d’être opposé à la liberté de croyance, soulignant en même temps que « le Maroc est un pays musulman qui a ses lois. »
Visiblement, le parti islamiste veut réaffirmer son positionnement de défenseur du caractère musulman de la société marocaine, opposé en cela à toute sécularisation. Il saisit l’occasion du débat public sur la nouvelle constitution pour faire entendre sa voix sur un point précis qui lui est cher, reconnaissant par ailleurs qu’il est d’accord avec les autres changements proposés par la nouvelle loi fondamentale.
Plus largement, le débat entre « laïcs » et « conservateurs » trouve ici une nouvelle façon de s’exprimer. Ces dernières années, plusieurs affaires ont opposés les deux camps sur l’alcool, sur la religion chrétienne ou sur le ramadan. A Fès, le maire a tenté d’instaurer un contrôle plus strict sur la vente l’alcool, envisageant une interdiction pure et simple. A plusieurs reprises, des étrangers soupçonnés de prosélytisme chrétien dans le pays ont été expulsés. Au nom des libertés individuelles, des « dé-jeûneurs » ont tenté d’organiser un pique-nique public en plein ramadan.
Pour la militante des droits de l’homme Khadija Rouissi, qui s’exprimait dans le quotidien Aujourd’hui le Maroc, « ces gens (les leaders du PJD) utilisent la religion pour s’en prendre à toute idée innovatrice et moderniste conforme aux valeurs et principes des droits de l’homme ».Or selon elle, « l’Islam prône la liberté et la responsabilité. Si on a confiance dans les valeurs de l’Islam, on ne doit pas craindre pour cette religion. » Rappelons que le projet de constitution maintient le rôle de « Commandeur des croyants » du souverain, ce qui constitue, selon la militante, « une garantie contre l’extrémisme religieux. »
Cyril Bonnel