Le prêche islamique fait son entrée dans le paysage audiovisuel tunisien

C’est l’affaire du moment en ce début de ramadan en Tunisie : la nouvelle émission d’Abdelfattah Mourou sur Hannibal TV, purement théologique pour l’intéressé, officieusement politique pour les plus incrédules, défraye déjà la chronique. Une polémique est née en effet de la double réaction virulente à droite comme à gauche, respectivement de la part d’Afek Tounes et d’Ettajdid, tous deux préoccupés d’une tribune qui n’a pas de prix en termes de temps de parole imparti à ce que d’aucuns présentent comme un sérieux prétendant à un siège au sein du futur Conseil Constitutionnel, voire à une possible candidature aux présidentielles.

D’ordinaire, les téléspectateurs tunisiens sont plutôt friands de séries télévisées, chaque entame du mois saint synonyme de grille inédite des programmes et avec elle l’essentiel de la production annuelle en sitcoms toutes chaines confondues. Mais en ce premier ramadan post révolution, l’effervescence politique du moment à l’approche des élections vient changer la donne.

Il faut dire qu’avec Mourou, l’audience marche sur des œufs. Le statut de l’avocat islamiste, fondateur historique d’Ennahdha, est pour le moins ambigu, et ses multiples voltefaces avec ses allers-retours multiples dans le parti n’y ont rien arrangé. Mi prédicateur mi homme politique, désormais mi politicien mi télévangéliste, difficile en effet de ne pas penser à une manœuvre prosélyte, la chaîne en question n’étant pas à son coup d’essai, elle-même controversée s’agissant de ses choix éditoriaux par le passé qui lui ont valu d’être taxée de racolage et d’un certain populisme.

Plus surprenant est en revanche le choix éditorial de Nessma TV, chaîne connue pour ses prises de position modernistes, mais qui flairant sans doute un bon filon en ce créneau du télévangélisme, a quant à elle programmé Youssef Seddik sur la même plage horaire, connu pour ses études anthropologiques du coran, mais aussi pour ses talents de conteur qu’il met à contribution ici dans une série analogue.

Concrètement, rien de nouveau sous le soleil : le premier « épisode » de l’émission de Mourou, après une brève évocation de la révolution, a consisté en l’énonciation d’une suite de banalités religieuses sur un ton paternaliste, le tout dans un décor rétro et austère. Mais il n’y avait pas que le décor qui était rétro, le contenu et les idées étaient aussi celles d’un conservatisme convenu, dont beaucoup de blogueurs tunisiens ont estimé qu’il ne correspondait en rien à l’esprit de la révolution, elle qui portait des idéaux universels allant au-delà du religieux.

En quoi diffère donc le télévangélisme de la programmation habituelle d’hommes de religion ou de théologiens parlant religion à la TV après la rupture du jeûne ? En plus d’avoir acquis un sème péjoratif avec la multiplication de scandales outre-Atlantique où le procédé s’est fait connaitre et ne concerne plus que le protestantisme évangéliste, l’intéressement financier comme idéologique ainsi qu’une certaine démarche missionnaire caractérisent le télévangélisme et le distinguent des autres programmes religieux généralement perçus comme moins grotesques.

Il n’en fallait pas plus pour que les demandes de la part de la société civile de création d’un CSA tunisien abondent. Sorte d’autorité régulatrice vigilante face aux dérives de l’audio-visuel, un tel organisme semble devenir chaque jour un peu plus indispensable dans un pays où des surenchères sont à craindre entre des médias lancés dans une course sensationnaliste et des politiques prêts à toutes les fuites en avant à l’approche des échéances électorales du 23 octobre.

Seif Soudani