La tournée d’Erdogan dans des pays arabes fait trembler les islamistes
Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, est rentré triomphalement à Istanbul après une tournée dans les pays du Printemps arabe. Après des déclarations sur la laïcité qui ont glacé les différents partis et mouvements religieux, le leader islamique s’en est retourné chez lui en laissant derrière un public enthousiaste, en pâmoison devant le « modèle turc ».
Reconnu comme fervent partisan de l’Etat palestinien et adversaire d’Israël, Erdogan n’eut aucun mal à séduire les foules qui l’attendaient aux aéroports du Caire, de Tunis ou de Tripolis. En affirmant que la reconnaissance d’un Etat palestinien par l’ONU n’est pas une « option » mais une « obligation », et en soutenant les révolutions et révoltes en cours, en particulier en Syrie, il s’assurait la sympathie de la rue arabe. Jusque là, l’Ottoman faisait l’unanimité.
Les islamistes dans l’embarras
Seulement, les islamistes de Ennahdha ou des Frères musulmans déchantèrent rapidement lorsque Recep Tayyip Erdogan, issu lui-même de l’islam politique, déclara être pour l’Etat laïc qui se tiendrait « à égale distance de tous les groupes religieux, dont l’islam, les chrétiens, les juifs et mêmes les athées« , expliquant que la laïcité est une protection pour toutes les religions.
Après un silence incrédule, des représentants islamistes ripostèrent sur un ton courtois mais sec. « Nous remercions M. Erdogan et la Turquie, mais nous préférons qu’il ne se préoccupe pas des affaires de l’Egypte ! La laïcité n’est pas une solution pour nous. La Turquie est libre de choisir son système et quoi qu’il en soit, la civilisation islamique tire sa force de sa diversité… », commenta Essam El Aryane, vice-président du Parti islamique de la liberté et de la justice.
L’enthousiasme de Ennahda tunisien pour le modèle turc s’est également subitement calmé. Selon le parti islamique tunisien, la laïcité aurait été à l’origine de toutes les dérives répressives de la Tunisie de Benali, alors qu’en vérité, la dictature matait toute opposition sur le sol tunisien, qu’elle soit islamiste ou pas.
La Libye, par contre, n’a pas pris la mouche. « Nous aspirons à un Etat démocratique et musulman en s’inspirant du modèle turc« , a déclaré le président du Conseil national de transition libyen (CNT), Moustapha Abdeljalil, démentant ainsi la théorie selon laquelle que le pays est pris d’assaut par Al Qaida.
Et au Maroc ?
Une grande ambiguïté plane sur la question dans la nouvelle Constitution. Le parti de la Justice et Développement marocain (PJD) avait d’ailleurs marqué sa désapprobation publique de l’article garantissant liberté de conscience, qui a été retiré à la dernière minute. Aucun autre parti n’avait cru bon de s’opposer à ce retrait, craignant de s’attirer les foudres du parti de Benkirane.
Loin d’être séduits par le « charisme » d’Erdogan, beaucoup de militants pour la laïcité se sont demandé ce qu’aurait eu, comme effet, une visite similaire au Maroc, surtout avec l’expansion économique de la Turquie qui a tout pour conquérir le citoyen marocain. Le parti islamique du Royaume a préféré quant à lui garder le silence sur les déclarations du premier ministre turc.
Vu de l’occident
« Rhétorique tiers-mondiste et populiste survenant en l’absence de leadership politique arabe », commentent des observateurs occidentaux. Un manque d’enthousiasme expliqué, en partie, par les menaces de la Turquie au sujet du gel de ses relations avec l’UE si une solution n’est pas trouvée à la division de la République de Chypre.
Aussi populiste que puisse être l’approche du premier ministre turc, son périple a démontré 3 points : D’abord, qu’en effet, il n’y a pas de leadership arabe qui soit arrivé à s’ériger en modèle pour ces pays qui veulent se construire une démocratie. Ensuite, que les peuples sont davantage sensibles au développement économique qu’aux idéologies. Enfin, que les partis religieux ne sont pas très convaincus de la légitimité politique qu’ils prétendent avoir.
Fedwa Misk