La Prochaine Guerre en Tunisie, un essai évènement qui tire la sonnette d’alarme économique
C’est que l’auteur n’a pas mâché ses mots pour le choix délibérément tonitruant de son petit mais dense ouvrage de 140 pages. L’avant-propos se veut d’ailleurs sans ambiguïté ni détours sur le postulat de départ économiquement gravissime selon l’auteur qui ne s’y est pas trompé: « Cet essai n’est pas un essai. Non ! C’est une déclaration de guerre. Une vraie guerre. Et c’est ainsi qu’il faut l’entendre, une guerre avec ses plans, ses camps, ses bruits, ses nerfs, ses sacrifices et ses adversaires. Une guerre contre un ennemi cruel, un ennemi qui s’apprête à devenir fatal pour notre cher pays, fatal pour nous tous, fatal pour vous : enfants, adultes, hommes, femmes, gauche, droite, centre, libéraux, dirigistes, croyants ou pas, pauvres, riches. J’ai nommé le chômage et l’exclusion de près de deux millions de Tunisiens. Le chiffre mérite d’être redit et réécrit : bientôt 2 000 000 d’exclus ! »
Voulant néanmoins en tempérer la résonnance alarmiste, il a rassuré l’audience aujourd’hui en insistant sur le fait que son essai « c’est 20 pages de cri d’alarme, mais c’est surtout 120 pages de solutions préconisées », comme en témoigne le sous-titre : La Victoire en 5 batailles.
Les débats s’ouvrirent avec un petit jeu participatif : « Essayez de vous souvenir où vous étiez le 24 juin 2010 » lança-t-il à la salle, avant d’ajouter « Si je vous avais dit à l’époque que dans un an, des jeunes auraient dégagé Ben Ali -qui se trouve à quelques encâblures de nous ici- et entraîné un mouvement révolutionnaire dans 7 autres pays arabe, vous m’auriez traité de fou, n’est-ce pas ? Eh bien aujourd’hui, je voudrais vous demander si vous êtes certains que le pire n’est pas encore à venir, et que tout cela est fini » a-t-il demandé d’un air incrédule. Sur un ton plus humble, Cyril Grislain a ensuite reconnu que, s’il n’a pas fait ni contribué à la révolution, il estime avoir une dette morale envers les jeunes qui l’ont faite, ceux « sans qui nous n’aurions pas cette conversation », a-t-il rappelé.
Et l’économiste de prévenir : si tout le monde a su cette fois qui dégager, en pointant unanimement du doigt Ben Ali et son clan, il n’est pas du tout sûr que demain nous nous retrouverons pas dans une situation d’un ennemi qui cette fois sera non identifié. Cet ennemi, si cela continue ainsi, ce sera nous-mêmes a-t-il insisté : tous ceux qui vivent d’une certaine façon aux dépens de travailleurs surexploités, mal rémunérés, exclus, n’ayant plus rien à perdre demain si nous n’engageons pas sans plus attendre un effort de solidarité, du même type que les Tunisiens ont déjà su spontanément fournir au profit du demi-million de réfugiés en provenance de Libye.
Lui qui a passé 12 ans au Brésil à décortiquer la recette de la réussite économique de ce pays doté d’un « système qui fonctionne », a ensuite énuméré quelques exemple d’économies dont la démarche est à suivre en ce qu’ils sont comparables à la Tunisie en termes de taille et de configuration socio-économique, avant de décliner sous 5 volets ses propositions de solutions qu’il a brièvement passées en revue : créer 500.000 emplois à travers une multitude d’idées dont les énergies renouvelables, le secteur de la sous-traitance de services encore sous-exploité à son goût pour une population aussi bilingue, etc., promouvoir le savoir-faire plutôt que le savoir automatiquement sanctionné par un diplôme (il affirme lui-même que son diplôme ne lui a servi à rien et que l’égo des 65.000 jeunes diplômés du supérieur tunisiens par an est détruit tous les jours face aux réalités de la vie active), trouver les financements là où ils se trouvent pour accompagner la reprise, promouvoir la parité et l’égalité hommes-femmes sans plus tergiverser, et enfin se doter d’une élite formée et choyée avec des rémunérations dignes des dragons économiques que sont Singapour et la Corée du Sud, histoire d’éviter son exode systématique à l’étranger.
C’est donc un discours sans langue de bois d’un pragmatiste auquel les participants ont eu droit, résolument tourné non pas vers des réformes, pas en adéquation avec la taille des problèmes auxquels fait et va faire face le pays, mais vers une rupture tous azimuts avec les pratiques relevant selon lui d’une mentalité de la « petitesse » résignée, la Tunisie étant un pays petit par la taille mais grand par son peuple qui pourra s’en sortir selon l’auteur, sauf s’il « ne le veut pas » a-t-il conclu, optimiste, et très applaudi. Reste à savoir si l’économie peut à elle seule solutionner l’ensemble des problèmes propres à la Tunisie post révolution.
Initiative louable, les droits d’auteur seront versés à la lutte contre le chômage et l’exclusion, a enfin précisé l’auteur.
Seif Soudani