La chronique du Tocard. Roland Garros, Stan Smith et les oubliés du CSM Ile-Saint-Denis

 La chronique du Tocard. Roland Garros, Stan Smith et les oubliés du CSM Ile-Saint-Denis


 


La serbe Ivanovic jouait son match et elle était trop canon pour que je me concentre uniquement sur son coup de raquette. Le court central de Roland Garros était plein à craquer malgré la chaleur étouffante et le prix élevé des places. Pour ma part, ça m’avait couté que dalle : des amis m’avaient offert le billet d’entrée. 


 


Dès mon arrivée Porte d’Auteuil, je remarquais le manque ostensible de Gnoules à l’horizon. J’étais assis confortablement comme un Beurgois à la sauce républicaine, à deux raquettes de tennis de Stan Smith que j’avais pas reconnu au premier abord. C’était un voisin qui m’avait alerté de sa présence.


J’y croyais pas mon regard tout étonné, surtout que signe du mektoub, je portais ce jour-ci une paire de Stan Smith noires, des baskets que j’avais pas mises depuis la nuit des temps, qui n’est pas qu’un fabuleux roman de Barjavel. Stan Smith, 69 ans, ancien champion de tennis américain, était donc assis juste derrière moi, lunettes de soleil plaquées sur son visage.


Placide, il regardait la première demi-finale femmes. Stan, zarma c’est mon pote !, était accompagné d'un petit garçon, sans doute son fils : les gens pétés de thune peuvent se permettre de faire des mômes sur le tard, les pauvres tentent leur chance dès qu'ils en ont l'occasion. A côté du gamin, une nana cliché, sa meuf, une Blonde que tu devais présenter à tout le monde, juste pour les apparences et pour faire baver l'ensemble de tes copains. J’hésitais à lu i adresser la parole.


J’avais juste envie de dire à ce grand monsieur que les baskets qu'il avait inventées avaient révolutionné le quartier où j'avais grandi, et moi en premier lieu. A l’époque, j’avais économisé toute l’année pour avoir la même paire de pompes que tous les copains, et ma mère avait piqué une colère Gnoule en apprenant le prix qu’avait couté cette paire de baskets. Elle avait dit « Au marché, y a les mêmes pour deux fois moins cher. En plus, ti chaussures, elles sont toutes blanches, elles vont être digoulasses en deux minutes ». Elle avait pas tort, mais la daronne ne pouvait pas rivaliser avec la pression du groupe. Pas encore, du moins…


La première fois que j’avais porté mes Stan Smith, je disputais la finale d’un tournoi de tennis. J’avais 13 ans. Je jouais à la baballe depuis deux saisons maintenant. J’aimais ça et je me débrouillais plutôt pas mal…pour un Gnoule. Tous les gamins du quartier avaient opté pour les sports de pauvre, le football en tête, tandis que Jean-Pierre et Amar, avec qui je trainais souvent, avaient préféré le tennis. Et je les avais suivis, d’abord par amitié, puis j’étais tombé également croc de ce sport.


Le jour de la finale, j’étais opposé à un type-tête-à-claques, un mec à lunettes, bien bourge, habillé comme un pro de la raquette mais l’habit ne fait pas le moine sinon l’imam de Drancy aurait fini gardien de sécurité chez Auchan. Sous pression, à cause de son daron qui voyait en lui le futur Bjorn Borg, mon adversaire allait perdre pied et allait subir une cuisante défaite : 6-0, 6-0. Aujourd’hui, lui et toute sa famille votent Le Pen…


Après mon triomphe, j’avais doublé les entraînements, pensant why not que je pourrais progresser et aller loin dans le tennis. Mon cousin qui travaillait au stade municipal nous laissait jouer jusque tard le soir. On disputait des parties à n’en plus finir. En été, de l'aube à la tombée de la nuit, on lâchait pas le terrain.


Ma mère, qui connaissait que dalle au sport, mais qui avait compris qu’il valait mieux que je transpire à taper dans une balle que de me prendre une balle, à rester trainer en bas de l'immeuble, me mettait de quoi être à l'aise en bouffe dans une boite. Elle est chou ma maman… Je jouais donc sans relâche. Pendant Roland Garros, je ne sortais pas de chez moi et ne ratais aucun match à la télé. Je me souviens de rencontres dantesques entre Mac Enroe et Lendl…


A 14 ans, je suis allé passer un test dans un autre club, plus gros que celui de l’Ile-Saint-Denis, parce que si je voulais progresser, il fallait que je parte. Ca l’a fait, hamdoulah-chocolat : j’étais pris haut la main. Après, quand j’ai su le prix de la cotisation et qu’il fallait payer un entraineur particulier en plus, j’ai dit aux responsables du club que j'avais besoin de réfléchir et que je reviendrai sans doute les voir plus tard. J’avais mal en vrai mais j’ai gardé le sourire.


Sur les courts, y avait des bons petits Blancs de mon âge qui étaient pas plus forts que moi "tennistiquement" parlant mais ils avaient les moyens de continuer. En quittant ce club qui me faisait rêver, j’ai compris que le mien de rêve était brisé. Je ne pouvais pas rivaliser.


En rentrant chez moi, j’ai pris toutes les raquettes, les balles de tennis, les shorts ras-le-cul et je suis allé jeter le tout à la poubelle. J’ai même pas gardé la paire de Stan Smith. La saison suivante, je me suis inscrit au football…


Nadir Dendoune


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