La chronique du Tocard. Quand on veut on peut : Toz

 La chronique du Tocard. Quand on veut on peut : Toz


Beaucoup de ceux qui sont bien nés, pas tous heureusement, qui ont réussi, non pas grâce à leur sueur mais grâce à leur pedigree de privilégiés de l'existence surkiffent les Bicots de banlieue de mon espèce qui ont fait des "choses extraordinaires". Parfois, ils nous aiment même plus que les "nôtres". 


Ils adorent, les mecs comme moi, venus de nulle part, comme ils disent, alors que mon quartier de Seine-Saint-Denis vaut 10000 fois mieux humainement parlant que ton Neuilly-sur-Seine ou ton Paris rive gauche de chacun pour sa gueule.


Ils nous aiment tellement qu'ils sont constamment en train d'essayer de créer des liens avec nous. Mais va jouer au golf, putain !  


Mais ils ne le font pas gratos, de bon cœur, ils le font parce qu'ils ont une idée claire derrière la tête. 


Pour mener à bien leur projet, ils doivent d'abord nous charmer. Ils font donc ce que tout le monde fait : ils flattent notre égo. Ils nous mettent sur un piédestal de champion olympique, nous disent à quel point nous sommes des êtres merveilleux. Et ça marche à tous les coups. En même temps, il n'y a aucun mérite quand on a entendu toute sa vie qu'on était des moins que rien.


Une fois qu'ils nous connaissent un peu mieux, en fait, très vite, parce qu'ils ont hâte de montrer leur prise, ils nous présentent à leur entourage, femmes et enfants compris, même si la demoiselle, ils la tiennent un peu à l'écart, on ne sait jamais : nous autres, on pourrait faire des galipettes avec la coincée du derche, à cause de notre libido de sauvage. Qui sait ? C'est peut-être même un de ces fantasmes cachés à la bourgeoise !


Tu te rends compte alors que sa famille connaît tout de toi, jusqu'au moindre détail, que tu es devenu un objet d'étude pour eux. 


Nous, au début, on trouve ça chouette, cet intérêt soudain. On voit ça comme une ouverture d'esprit de l'autre. Une curiosité saine. Construire des ponts avec des gens différents. Pourquoi pas ?

Et puis, ça nous change des insultes habituelles des fachos. On ne voit pas spécialement le vice qu'il y a derrière. Alors, on fait confiance. 


Un peu plus loin dans le temps, une fois que tu lui as raconté ton existence merveilleuse à faire pleurer dans les chaumières, il commence à se sentir à l'aise avec toi et il n'hésite plus à donner son avis sur des sujets qu'il prétend maîtriser. Il parle banlieue, cités, jamais il ne dit quartiers populaires, ça le renvoie trop à sa condition de bourgeois. 


En vrai, il n'y connaît rien à ce qu'il se passe de l'autre côté du périph',  qu'il ne franchit bien sûr jamais : il reprend juste ce qu'il a entendu à la télé, ou lu dans les journaux. Et pourtant, il se la joue expert. T'es son premier ami banlieusard. Plus communautaire que lui tu meurs : il ne fréquente que sa classe sociale. 


Après, comme c'est tendance, il évoque aussi avec toi l'islam, par ricochet les femmes voilées. Il regrette qu'elle le porte ce fichu bout de tissu, cette saloperie de foulard islamique qui lui fait tellement peur, qui lui fait craindre le pire pour sa République "égalitaire".


Pour te convaincre, il te répète que les femmes dans le monde entier se sont battues pour pouvoir avoir le droit de ne pas le porter. Il ne veut pas voir que la problématique française est différente et que pour l'immense majorité de ces filles, c'est un choix.


Et puis, il devrait fermer sa gueule : on ne lui casse pas les burnes, nous, avec toutes ces nanas de sa caste, celles d'en haut, qui se prennent des torgnoles par leurs maris mais qui se la ferment parce que chez les plus friqués, on préfère se taire, par peur du déclassement. 


Et puis un jour, tu comprends enfin ce qu'il avait en tête tout ce temps-là. Où il voulait en venir. Tu comprends qu'il voulait être ami avec toi pour que tu puisses relayer sa propagande dégueulasse. Sa vision de la méritocratie.


Pour lui, "Quand on veut, on peut Coco !" Sans aucune nuance. Faut juste que tu arrêtes de pleurnicher et que tu avances. Tu en es la preuve vivante ! Si toi, tu as "réussi", les autres le peuvent aussi. 


Ton nouveau pote se sert donc de ta réussite pour pouvoir enfoncer tous les autres, ceux qui n'arrivent pas à décoller. Si on veut, on peut ! Une saloperie de phrase, bourrée de sous-entendus.


En gros, si tu finis smicard, clochard ou délinquant, mère célibataire avec un RSA, c'est que t'en voulais pas vraiment, alors tant pis pour ta poire ! 


La seule valorisation d'une motivation essentiellement individuelle laisse entendre que si d'autres, restent au bord de la route, c'est qu'ils se laissent aller. C'est ça la loi de la jungle : appliquer à tous les animaux la méthode de sélection réservée aux prédateurs et faire semblant de déplorer ensuite que les gazelles courent moins vite que les léopards. 


Il aime surtout vanter les mérites de l'effort. Ce qui est hautement gonflé pour quelqu'un qui a tout eu depuis le berceau ! Parce que Coco : qu'est ce que ça veut dire l'effort quand la vie t'as déjà mâché les trois quarts du boulot ? Quand papa-maman sont des intellectuels, des patrons, des toubibs, etc., quand ils emmènent leurs mioches très jeunes au théâtre, quand ils leur paient des cours de maths ou d'anglais, quand ils les emmènent avec eux aux quatre coins du monde pour l'ouverture d'esprit, quand ils leur font bénéficier de leurs réseaux, de leurs pistons. 


Ta "réussite" lui permet aussi de soulager sa conscience. Il arrive même à se persuader, à te persuader, que tout le monde a sa chance en France. Et que c'est pas parce que lui et ses amis bien nés, sont partis avec 20 points d'avance, qu'ils en sont là aujourd'hui. Non, leur réussite, ils la doivent qu'à eux-mêmes, au fruit de leur travail et de leur abnégation. Le mérite, rien que ça ! 


Et toi alors ? Après t'avoir tant valorisé, fait rencontrer tout son petit monde, tu finis par croire à son discours. Comme ça commence à être tout beau là-haut, tout bling-bling, tu oublies ce que t'as dû endurer pour arriver là où tu es aujourd'hui. Et tu deviens leur faire valoir. Leur caution. L'Arabe qui cache la forêt.


Quand on veut, on peut. Je suis désolé non. C'est pas aussi simple que ça !  Mon exemple, celui des autres qui ont "réussi", permet à beaucoup, à la société, aux politiques, de se dédouaner et de faire porter le chapeau aux jeunes qui échouent.


 


Moi, j'ai compris que le seul moyen de m'en sortir, c'était d'en faire plus que les autres. Beaucoup plus. Parce que des types comme moi partent avec un handicap de 30 points. Pour réussir, il ne suffit pas d'un petit effort : il faut être un guerrier.


Nadir Dendoune


 


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