La chronique du Tocard. L’école arabe
Pour faire comme tout le monde et ne pas encore plus passer pour des marginaux, mon père, Mohand Dendoune, nous avait inscrits d'office, mes deux sœurs et moi, à « l’école arabe » sans même nous demander notre avis.
Une prof algérienne, la cinquantaine dépassée, longs cheveux qui descendaient jusqu'au genou, venait de débarquer à l’Ile-Saint-Denis pour proposer ses services aux parents maghrébins de la commune qui avaient tout de suite accepté son offre, sans même prendre le temps de jeter un œil sur le CV de l’enseignante.
Elle avait juste dit qu'elle était mandatée par le consulat algérien, qu’elle avait été prof dans un lycée en Algérie dans sa jeunesse, ce qui la rendait crédible au plus haut point, tellement les « enfants de là-bas » étaient des durs à cuire. Si elle avait réussi à se faire respecter au « bled », elle n'aurait aucun mal avec les enfants d'immigrés, avec lesquels beaucoup de ces papas avaient du mal. L'air de la France les rendait fous, disaient-ils.
Ce n'était ni l'école française, ni ces profs de l'éducation nationale, minés par la "Culpabilité" de la guerre d'Algérie et de la colonisation, et qui essayaient toujours de trouver des excuses aux comportements inadmissibles de leurs progénitures, qui allaient redresser leurs mômes. Non, ce que les "enfants d'ici" avaient besoin, c'était d'un bon professeur à l'ancienne, c'est à dire coups et blessures inclus. Un professeur algérien original. Un vrai de vrai.
Les darons rebeus n'avaient évidement pas hésité une seconde à accepter l'offre en apprenant qu'ils ne débourseraient pas un franc: c'était le consulat algérien qui régalait. Régulièrement critiquées, coupables de délaisser « leur immigration », ce qui était vécu comme une terrible injustice, tant ses membres étaient restés fidèles à ce pays qu'ils aimaient tant et qu'ils avaient quitté la larme à l'œil, en offrant la gratuité des cours d'arabe, les autorités algériennes, se rachetaient un peu aux yeux de tous ces expatriés.
Ne restaient plus qu’aux familles à acheter les bouquins. Maman avait été missionnée pour trouver les fameux livres, ce qui l'emmerdait royalement. Elle s'était donc arrêtée un vendredi matin, jour de marché, à une librairie de Saint-Denis, la première et la dernière fois de sa vie qu'elle pénétrait dans un tel lieu.
Maman avait alors tendu à la dame au comptoir, une femme d'origine maghrébine, un bout de papier, que la libraire avait à peine regardé, comme si elle savait déjà de quels livres il s'agissait. Elle était revenue une minute plus tard, munie de trois bouquins qu'elle avait foutu brutalement dans un sac plastique.
«Vous aussi !», avait-elle alors lancé à ma mère. Oui, elle aussi allait envoyer ses mômes à l'école arabe. Maman lui avait répondu par un haussement d'épaules, un signe pour montrer sa perplexité quant à cette initiative.
Ma mère s’était tout de suite demandée si l'apprentissage de l'arabe était une priorité pour l'avenir de ses enfants. Elle s'inquiétait avant tout de leurs résultats scolaires, et si elle avait eu les moyens, elle leur aurait offert plutôt des cours de français ou de mathématiques. Et puis, « même en Algérie, personne ne parle l'arabe littéraire », avait-elle raillé.
« L'Algérie n'est pas la Syrie ou l'Irak, nous ne sommes pas des Arabes, mais des Maghrébins. Ils devraient plutôt leur apprendre à parler comme les gens de la rue: au moins, ils pourraient se faire comprendre au bled. Pourquoi pas leur donner des cours d’arabe dialectal ?», avait-elle dit à mon père, obtenant en retour une fin de non recevoir.
Mon père, comme tous les autres papas maghrébins de la ville, étaient aux anges. Ils n’oubliaient pas qu’ils étaient venus en France simplement pour travailler, persuadés qu'ils finiraient par tous rentrer un jour au pays, une fois leurs maisons terminées. En apprenant l'arabe, leurs enfants gardaient ainsi un lien avec leur pays d'origine.
Au lieu des cours d'arabe, maman aurait plutôt aimé que ses enfants puissent apprendre le kabyle, sa langue, celle de ses ancêtres, celle de Slimane Azem, son chanteur préféré, afin qu'ils le parlent correctement.
Elle se sentait un peu coupable parce qu'elle avait pris la mauvaise habitude depuis le début de communiquer avec eux en français. Elle voulait juste que ses enfants deviennent des Français comme les autres.
Pour le premier cours d'arabe qui avait lieu un mercredi, ce qui en avait énervé plus d'un, à cause des dessins animés qu'on allait rater, la professeure avait demandé aux parents que leur enfants viennent
«propres sur eux-mêmes», allant jusqu'à exiger que nos ongles soient coupés. Ça sentait le roussi toutes ces injonctions. Cette professeure avait promis à nos parents qu'elle n'aurait aucun mal à nous mater. Elle était en mission !
Le cours, à peine commencé, j'allais recevoir mes premiers coups de règle de ma vie sur mes doigts, pour un mini-bavardage avec une nana que je trouvais chou. Elle frappa également d'autres camarades de classe. Toujours pour les mêmes raisons: pour du bla-bla à outrance. Parfois de manière assez violente.
Elle ne perdait rien pour attendre. Le soir, chacun de nous alla se plaindre auprès de nos parents. En vain. Seule ma mère était en colère mais mon père, ainsi que les autres papas, jubilaient: il ne fallait surtout pas remettre en cause l'autorité de l'enseignante !
Les semaines suivantes, la professeure d'arabe alla encore plus loin dans les punitions. En plus des coups de règles sur les doigts et désormais sur la tête, elle nous ridiculisait devant tout le monde, en nous faisant venir au tableau pour nous traiter d'abrutis, d'incapables notoires. C'en était trop. Nous devions agir.
Alors, avec les copains de la cité Maurice Thorez, on avait fini par se réunir, pour élaborer un plan. On allait se débarrasser de cette folle.
On se renseigna sur elle et on apprit qu'elle habitait la ville voisine. On apprit surtout qu'elle était la maman d'un garçon de notre âge… qui allait dans la même école que nous. Bingo ! Un mois plus tard, la professeur d'arabe annonça qu'elle renonçait à donner des cours d'arabe à l’île-Saint-Denis…
Nadir Dendoune
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