La chronique du Tocard. Je t’aime moi non plus
La première fois que j’ai brandi un drapeau français, j’avais pas viré Front national, ou RPR. J’étais pas non plus devenu arabe de service, en service commandé pour le Parti socialiste. Non, j’avais toujours le cœur bien ancré à l’extrême gauche. Toujours, en mode internationaliste.
La première fois que j’ai brandi un drapeau français, j'étais 100% sain d'esprit et ce matin-là, je n'avais bu que de la grenadine. C’était pas non plus un exploit hors norme à cause du fait que je me trouvais loin de l’Hexagone, bien caché à l’autre bout du monde, en Australie, en mode incognito, où tout le monde me prenait pour un fromage qui pue, à cause de l’accent à couper au couteau.
La première fois que j’ai brandi un drapeau français, la France de Zidane, d’Henry et Trezeguet, jouait en finale de l’Euro 2000 contre l’Italie de Maldini, Totti et Delvecchio. Avec le décalage horaire, il avait fallu se lever à quatre heures du matin. J’étais allé regarder dans un pub la finale avec des amis kabyles, débarqués d’Algérie mais fervents supporters de l’équipe de France. C’est normal. Les Algériens, même s’ils en veulent à la France pour son passé colonial, aiment ce pays comme si c’était le leur. Un « je t’aime, moi non plus » que beaucoup de Français feignent de ne pas comprendre.
Les Bleus avaient remporté la compétition après un dernier match à suspens où Trezeguet avait délivré la France en prolongations, « un but en or ». Alors, on avait passé la fin de la nuit à klaxonner dans la ville endormie de Sydney, maillot de l’équipe de Zidane flanqué sur le dos et un drapeau Bleu, Blanc, Rouge qu’on agitait dans tous les sens. Je n’aurais jamais pu faire ça au pays. Au petit matin, la fête avait continué sous les regards incrédules des Australiens.
Je vivais depuis quelques années à Sydney, la plage, le surf, les meufs, tout ça pour moi dans mon petit studio avec une vue sur la mer, comme une ballade des gens heureux parce que j’étais loin de la République française qui avait une dent contre les métèques de mon espèce. Malgré ma rancoeur légitime, la France me manquait énormément parce que j’étais né avec et qu’on ne peut rien faire contre ses habitudes. Parfois même, je parlais d’elle à mes amis australiens avec un romantisme amoureux, oubliant qu’on était fâché elle et moi. Oubliant que nos nombreuses disputes m'avaient poussé à la quitter.
En Australie, nous venions de tourner le dos au 20ème siècle qui était une époque de saloperie parce qu’elle avait connu plusieurs guerres, dont deux avec tout le monde. Et les Allemands avaient réussi à faire la Paix avec la France juste après 45 parce qu’ils avaient reconnu tout de suite leurs erreurs, ce qui est une preuve de grande intelligence, et aussi parce qu’ils n’avaient pas vraiment le choix.
La France, qui avait inventé les Lumières, apparemment sans les ampoules avec, avait fait l’inverse avec l’Algérie parce que personne ne l’avait jamais obligée à dire pardon. Alors, elle pensait que les bicots qui avaient « moins de cerveau disponible pour comprendre les choses » que l'Homme Blanc finiraient par faire comme si de rien n'était.
Et pendant longtemps, tout était resté enfoui. Un tabou français. Il avait fallu attendre 1999 et Jacques Chirac pour qu’un chef d’Etat de la République parle enfin de « guerre d’Algérie ». Avant lui, on évoquait « les événements d’Algérie », oubliant les atrocités commises par l’armée française entre 1954 et 1962. Fallait pas compter sur l’ancien président « socialiste » François Mitterrand pour faire toute la lumière sur ces épisodes non glorieux, à cause notamment de son passé trouble. Mitterrand était alors ministre de la Justice et s’était opposé fermement à la grâce de 45 nationalistes algériens qui furent tous guillotinés.
En 2016, les choses avaient beaucoup changé. Peu importe si le FN faisait des scores vertigineux. Peu importe si une partie des électeurs des Républicains avait les mêmes idées que ceux du parti de Marine Le Pen. Peu importe si une partie de la "Gauche" était séduite par certains discours islamophobes, une autre manière pour certains de cacher leur aversion pour les Gnoules.
Les jeunes métèques de maintenant emmerdaient tellement les fachos qu’ils ne leur demandaient plus l’autorisation d’être Français. Ils n'avaient rien à voir avec nous les anciens, qui sommes atteints de complexes aigus parce qu'on traîne derrière nous le poids des années qui nous fait réfléchir en overdose.
Ils étaient Français et ils le faisaient savoir aux autres sans aucune gêne. Ils n’étaient pas Français, comme nous en cachette, juste quand ils se trouvaient à l’autre bout du monde. Dimanche dernier, fallait les voir arborer fièrement leurs drapeaux tricolores dans les Fan Zone de la région parisienne, et notamment dans celle de Saint-Denis (93), ville à majorité basanée depuis que la République a laissé construire des ghettos pour favoriser la division et accroître la xénophobie.
La plupart des métèques ce soir là, alors que la France recevait l’improbable Islande en quarts de finale de l’Euro étaient maquillés Bleu Blanc Rouge comme si c’était normal d’être basanés et Français en même temps. A quelques secondes du début de la rencontre, au moment de l’hymne national, ils se sont même mis à chanter la Marseillaise. Parmi eux, il y avait beaucoup d'Algériens d'origine.
J’en croyais pas mes yeux. A chaque action, ils vibraient de bon coeur, tantôt effrayés alors que les Islandais se rapprochaient de la surface de réparation, tantôt fous de joie, quand leur équipe plantait but sur but. Il n’y avait plus aucun doute : la France était devenue leur patrie à part entière.
Nadir Dendoune
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