La chronique du Tocard. Chaque fois un peu moins

 La chronique du Tocard. Chaque fois un peu moins


 


Nadia avait mal au bide, au dos, à la nuque, partout elle était tendue. Mais sa douleur n'avait rien à voir avec le drame qu'avait vécu la veille le peuple de Paris. D'ailleurs, elle s'en voulait un peu de ne rien ressentir pour tous ces morts.


 


Assise sur une terrasse quasiment vide d'un troquet parisien, Nadia regardait avec indifférence tous ces gens qui défilaient devant elle, aux visages décomposés, gagnés par la tristesse, la stupéfaction et l'incompréhension. 



Elle, elle s'en cognait royalement de tout ça. Nadia n'avait d'ailleurs même pas cherché à savoir si les membres de sa famille qui vivaient tous à Paris, étaient sains et saufs. Son chagrin était ailleurs.


Nadia serrait les poings de rage, essayant en vain de se vider l'esprit, tentant sans succès de chasser de sa tête celui qui venait de lui fracasser le cœur mais surtout celui qui avait éteint le maigre espoir qu'elle avait en l'homme. Chaque fois, un peu moins, se disait-elle, et aujourd'hui, il ne restait plus rien. 



Nadia était vidée, essorée, elle n'était même pas triste, n'éprouvait ni de la colère: elle avait dépassé ce stade-là. Il y avait en elle un sentiment étrange, qu'elle n'avait jamais ressenti auparavant, comme si son cœur venait de s'arrêter pour de bon. Et c'était cette absence de compassion pour toutes les victimes des attentats de Paris qui venait de lui faire  prendre conscience qu'aujourd'hui, elle n'était plus la même. 



Et pourtant, Nadia y avait cru. Elle l'avait trouvé, ils s'étaient trouvés, se l'étaient dit à l'oral, à l'écrit,  virtuellement, mais aussi et surtout yeux dans les yeux, la larme qui coulait le long de leurs joues: leur amour avait ce petit truc spécial qui les reliait ensemble pour longtemps, pour ne pas dire à jamais. Il avait fallu d'un moment, de quelques minutes, pour que tout s'effondre.


Nadia, la quarantaine, plus que jamais opérationnelle émotionnellement  pour vivre la grande histoire de l'amour, avait surpris Mourad avec une nana juste pour le cul, qui n'était pas même pas belle, un bout de viande commun. Il l'avait trompée parce qu'il faut toujours en profiter sinon on a l'impression de ne pas vivre sa vie à fond. Il l'avait aussi peut-être trompé à cause de ce manque de confiance propre à tellement de gens mais Nadia n'avait pas envie de lui trouver des excuses. 



Pris la queue entre les jambes d'une autre, Mourad avait essayé de se justifier et Nadia avait eu du mal à l'écouter jusqu'au bout. Il avait même eu du culot et essayé d'inverser les rôles pour la culpabiliser. Puis avait fini par lui demander pardon. C'était au moins ça mais c'était trop tard…


Sa trahison était classique, d'une banalité mesquine, vulgaire même, au vu de ce qu'ils vivaient tous les deux et surtout de ce qui les attendaient. Parce qu'ensemble, ils avaient été heureux. Les ballades, les sorties au ciné, les discussions interminables, les fous rires …



Chaque fois un peu moins car ce n'était pas la première fois qu'on méprisait la sincérité de Nadia. D'ailleurs, avant Mourad, elle ne faisait que papillonner, des histoires d'un soir sans sentiments. 


Mais cette fois, Nadia n'avait rien vu venir. Mourad avait réussi là où tous les autres, avant lui, avaient échoué. Il avait redonné un sens à son cœur, lui qui fonctionnait que pour les usages principaux. 

Avec Mourad, elle avait enfin lâché prise, ouvert le champ des possibles, de la vie à deux, du même chemin qu'on emprunte. 


La trahison de son homme avait sonné le coup d'arrêt à ses émotions. Et aujourd'hui, elle avait peur.  Peur d'avoir changé pour de bon.  Peur de sa haine. Peur de ne plus pouvoir revenir. Une amie lui avait envoyé ce texte d'Antoine de Saint-Exupéry pour tenter de lui redonner goût à l'amour.



«C'est une folie d'haïr toutes les roses parce que une épine vous a piqué, d'abandonner tous les rêves parce que l'un d'entre eux ne s'est pas réalisé, de renoncer à toutes les tentatives parce qu'un 'a échoué…C'est une folie de condamner toutes les amitiés parce qu'une vous a trahi, de ne croire

plus en l'amour juste parce qu'un d'entre eux a été infidèle, de jeter toutes les chances d'être heureux juste parce que quelque chose n'est pas aller dans la bonne direction. Il y aura « toujours une autre occasion, un autre ami, un autre amour, une force nouvelle. Pour chaque fin il y a toujours un nouveau départ …»



Mais c'était trop tard et elle le savait. Nadia se mit à relire le dernier message de Mourad, envoyé quelques heures avant qu'elle ne  découvre la supercherie, avant qu'elle ne se rende compte qu'il avait pris son cœur pour un hôtel.



« C'est avec toi Nadia que je veux continuer ma route, même les plus cabossées, c'est avec toi que je veux partager la routine comme les moments magiques, c'est auprès de toi que je veux vieillir, c'est de toi dont je veux prendre soin, c'est toi que je veux chérir, et c'est enfin près de toi, qu'un jour prochain, lorsqu'on sera vieux, sur un banc, je souhaiterais nous entendre dire : « putain, qu'est-ce qu'on est heureux… »



Chaque fois un peu moins, et aujourd'hui plus rien …


Nadir Dendoune


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