La chronique du Tocard. Baumettes et des lettres

 La chronique du Tocard. Baumettes et des lettres

Je savais pas si ma venue allait changer quelque chose mais j’espérais tant. Je me souvenais pour ma part que c’était un éducateur qui m’avait conduit sur une autre autoroute… ND


 


Le jeune détenu qui séjournait tant bien que mal, en mandat de dépôt à la maison d’arrêt des Baumettes, m’avait demandé les raisons pour lesquelles je m’étais mis à écrire et c’était une question essentielle qu’on m’avait jamais vraiment posée. J’étais venu dans cette prison de Marseille, une des plus anciennes du territoire français construite dans les années 30, raconter mon parcours d’ancienne caillera à nettoyer au karcher.


 


Les Baumettes étaient situées à proximité de la calanque de Morgiou, à quelques pas donc de la mer, dans un cadre féérique. Le contraste était saisissant avec l’intérieur de l’établissement qui laissait à désirer, même si la venue du contrôleur des prisons, il y a quelques années, avait amélioré la donne.


Pour répondre au jeune détenu, je m’étais gratté la tête plusieurs fois pour l’aide à la réflexion. J’avais donné une première explication : l’écriture avait été pour moi une bouée de sauvetage, une façon d’exprimer la rage que je ressentais à l’intérieur. La cité m’étouffait, la République me méprisait et écrire avait atténué mes sentiments de haine.


Le jeune en face avait hoché la tête de compréhension parce qu’il voyait très bien ce que je voulais dire, lui, qui se demandait comment il allait pouvoir enfin arriver à canaliser son mal-être qui conduisait souvent à la violence. Il m’écoutait et finit par dire qu’il n’excluait pas à son tour de pouvoir raconter sa vie par écrit. 


J’avais aussi commencé à écrire parce que l'oralité était extrêmement pénible pour moi.Toute mon enfance avait tourné autour du trouble de la parole, une belle saloperie qui m’avait gâché le début de l’existence, des nuits entières à chialer à me demander pourquoi le sort s’était autant acharné sur moi.  


C'était le seul handicap qui faisait rire la populace et j’avais eu de la chance d’être tombé dans un quartier de Seine-Saint-Denis profondément humain où l’immense majorité avait fait preuve de mansuétude à mon égard. J’en connaissais d’autres des mutilés des mots qui avaient essuyé les plus grandes railleries, ce qui avaient eu pour conséquence de les couper définitivement des autres.


A l’époque de la communication opprimée, les gens voyaient en moi un être inculte, pensaient que je ne disposais pas d’assez de mots pour m’exprimer, alors que c’était exactement le contraire. J'en connaissais beaucoup plus que la moyenne. C'était juste que les mots avaient décidé de me faire chier en refusant de sortir à l'air libre. Et j’allais le prouver en noircissant des centaines de pages. 


Je parlais à des détenus, à de parfaits inconnus de mon handicap mais aussi de choses plus intimes sur mes parents, mon quartier, mes blessures affectives, sans gêne et j’étais surpris de moi-même mais surtout heureux de pouvoir le faire aussi aisément. La vie avait avancé et ce qui me faisait autant mal hier, me laissait presque indifférent aujourd'hui, m’aidant ainsi à mesurer le chemin parcouru.


C’était le sens de mon discours. Je voulais que ces détenus comprennent que la roue ne cesse de tourner et qu’il ne faut jamais désespérer. Après la nuit, il y a souvent le soleil…


C’était une amie psychologue, une nana étonnante, qui m’avait proposé de venir rencontrer des « prisonniers », qui étaient vraiment les siens. Elle les aimait et vice-versa, j’avais pas vu autant de respect et de douceur dans les rapports entre les humains. 


Ma pote, une fierté à elle toute seule, avait eu la merveilleuse idée de créer une bibliothèque, moi qui croyait d’office que c’était obligatoire dans les prisons. Au fil des mots, la confiance s’installait, les langues se déliaient de tout bord et tu sentais une sincérité débordante. Il y avait dans leurs paroles la manifestation d’enfances douloureuses et dans leur regard la preuve qu’ils souffraient toujours des blessures du passé.


La prison était remplie d’accidentés de la vie. On les enfermait au lieu de les soigner. On les foutait en prison pour rassurer les beaufs mais au final, on les brisait davantage. Ils ressortiraient encore plus en colère. Le taux de récidive à Marseille était très important, les juges locaux condamnaient avec une plus grande fermeté. Rien de nouveau, en somme…


On devait finir la rencontre à 16h mais personne n’avait vraiment envie de partir. Pourtant, c’était l’heure de la promenade pour eux. L’air, ils le prenaient ici, avec moi. Je leur parlais peu de la cité, qui ressemblait souvent à la taule, je préférais raconter l’Australie, Sydney et ses plages, le bien-être, le soleil, mon exil fabuleux qui a duré 8 ans au pays des kangourous. 


Pour avoir un peu connu l’enfermement, je savais qu’ils venaient là pour s’évader. Je les emmenais ensuite sur les routes d’Asie, où il y a quelques années, j’avais accompli un tour du monde à vélo pour faire plus de bruit contre le sida, puis plus haut, sur les pentes enneigées de l’Everest où en 2008, sans aucune expérience en montagne, j’étais arrivé au bout du sommet le plus haut du monde.


C’était cette histoire qui les avait le plus marqués. Ils voyaient bien que je n’étais pas plus épais qu’un coton tige et que j’étais pas plus costaud qu’un autre. Pas plus fort qu’eux au final… Ils avaient surtout compris que je m’étais servi de ma rage positivement et que le passé, aussi difficile qu’il puisse l’être, servait parfois à avancer. 


L'horloge affichait 17h, et il fallait vraiment partir. On traînait encore un peu. C'était pas simple de leur dire au revoir. J'étais à peine arrivé, je repartais déjà. Je savais pas si ma venue allait changer quelque chose mais j'espérais tant. Je me souvenais pour ma part que c'était un éducateur qui m'avait conduit sur une autre autoroute.


C'était aussi lui qui m'avait incité à lire mon premier bouquin. Un livre que je m'étais forcé à finir alors que j'étais dans une cage à Fleury Mérogis au tout début des années 1990. Avant de partir, un jeune de 24 ans s'approcha de moi. Il tenait dans les mains mon bouquin. Celui que j'avais écrit sur Sarkozy. "J'ai jamais lu de livre de ma vie mais celui-ci me donne envie", m'avait-il dit avec un petit sourire. 


 


Nadir Dendoune


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