La chronique du Tocard. Aïcha, notre pépite.
Il y a quelques années, quand Aïcha B avait toute sa patate légendaire, elle m’avait reçu dans son bureau à Saint-Ouen avec le sourire, une petite blague au passage sur ma sape, et on avait ri comme si nous nous connaissions depuis toujours. J’étais venu avec mon ordinateur portable, sous les conseils d’un ami qui m’avait dit « Tu verras, elle est pas comme les autres ».
J’étais là pour lui montrer mon premier documentaire, qui était un film sur la Palestine. Un truc que j’avais du mal à diffuser ailleurs que dans mon salon, à cause de la « trouillardise » dont font preuve la plupart des responsables des festivals quand il s’agit d’aborder ce sujet-là.
Aïcha avait regardé avec attention mon film, s’arrêtant de temps à autre pour tirer avec grâce sur sa clope et m’avait très vite félicité chaudement. Puis, elle avait dit « Banco, je prends ton film ». C’était aussi simple que ça avec elle. Il y a quelques jours, son cœur avait lâché prise. Elle allait avoir 48 ans. Tellement jeune … Trop jeune, ouais…
Aïcha avait créé un festival de cinéma quelques mois après les révoltes sociales de 2005. Sa pierre à l’édifice. Ne jamais oublier d’où elle venait. Elle qui avait grandi dans un quartier de Saint-Quentin dans l'Aisne, en Picardie.
Elle qui avait baigné très tôt dans le combat, avec un papa, qui fut l’un des principaux responsables du mouvement national algérien en France.
Aïcha voulait avec ses Pépites du Cinéma donner sa chance aux autres. Aux sans réseaux, aux oubliés de la République française laïque et indivisible. Mettre aussi un peu de couleur dans ce cinéma français monochrome, consanguin, où papa et maman ne cessent de propulser leur enfant sur le devant de la scène.
Faire de la place aux autres donc et ainsi, empêcher un peu cette élite blanche et bourgeoise de se reproduire interminablement. Et au fil des années, elle avait réussi son pari : son festival était devenu un événement incontournable pour nous tous. Nous étions de plus en plus nombreux à venir présenter nos films.
Mais en vérité, Aïcha voyait bien plus loin que ça. Elle voulait que ces deux mondes, qu’elle connaissait parfaitement et qui ne faisaient que se croiser, finissent enfin par se rencontrer réellement. Se connaître véritablement pour enfin avancer ensemble. Elle savait qu’il n’y avait pas d’autre choix. La France n’avait pas d’autre choix… Et ça, elle savait faire. Très bien, même …
Elle l’avait appris dans sa précédente vie où elle avait côtoyé cette fameuse élite. Celle des beaux quartiers. Celle qui pratique l’entre-soi. Celle qui admire, fantasme la banlieue, ou au contraire la craint. Quinze ans à trimer pour la Fondation Danielle Mitterrand, forcément, ça vous donne un peu de réseau. Des contacts qu’elle n’hésitait pas à offrir à ceux qui en avaient le plus besoin. Le cœur avant tout.
La dernière édition des Pépites du Cinéma s’était faite sans elle; enfin, elle n’avait pas pu être là physiquement. Elle avait eu lieu avec un peu moins de bonheur donc. Presque un vide sidéral. Mais en vérité, Aïcha était présente à chaque instant puisque ses amis lui racontaient tout, minute par minute.
La dernière édition avait failli ne jamais voir la lumière à cause de l’envie qui s’était enfuie. Aïcha portait tellement ce projet en elle. Et on espérait tant que pour la prochaine, Aïcha soit présente. Le Mektoub en a décidé autrement.
Puisqu’Aïcha n’est plus là, les Pépites du Cinéma doivent continuer leur route. Ses amis et aussi les autres, ceux qui le désirent, doivent poursuivre le chemin tracé par elle. C’était son souhait le plus cher. Le festival vivra sinon tout son travail aura été vain. Ses amis continueront sans elle mais pour elle…
La vie est ainsi faite. Souvent injuste. Elle enlève de l'échiquier qui elle veut.
Aïcha n’était pas très connue. Du moins du grand public. Mais pour beaucoup, elle était une star. Discrète mais rigolote. Bavarde, mais on buvait ses paroles. Et puis aussi honnête. Sans détour. D’une franchise implacable. Qui te fait avancer à toute vitesse.
Aïcha était douce aussi. Elle aimait materner les apprentis réalisateurs. Comme s'ils étaient ses propres enfants. Mais contrairement à d’autres, elle avait préféré travailler dans l’ombre. Et grâce à elle, nombreux sont ceux qui se retrouvent aujourd’hui, sous les projecteurs…
Nadir Dendoune
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