Hezb Ettahrir : L’ultra droite religieuse fait son entrée dans le paysage politique tunisien

S’il n’a pas d’existence légale en Tunisie, faute d’avoir obtenu un visa, Hezb Ettahrir (littéralement « parti de la Libération ») n’en a pas moi une visibilité médiatique en hausse ces derniers temps.

Après avoir convié les médias à un point presse mémorable en mars dernier, conférence fleuve en forme de déclaration d’intention, où ses responsables annoncèrent, sans sourciller, les contours d’un agenda pour le moins ahurissant d’utopisme salafiste, le numéro deux du parti d’ultra droite,  Abdelmajid Lahbibi, vient de faire une sortie remarquée sur la chaîne privée Attounissia TV, visiblement en mal de scoops sensationnalistes après les passages de Abdelfattah Mourou et Moncef Marzouki qui avaient fondu  tour à tour en larmes sur les plateaux des talk shows présentés par Alaa Chebbi, l’ex Arthur de la TV nationale.

Au programme ce soir-là, insulte au drapeau tunisien, négation de toute identité tunisienne en dehors d’un islamisme totalitaire centralisé au sein d’un califat expansionniste, diabolisation de l’Occident et réaffirmation de la Charia comme seule constitution possible pour le pays.

Ce qui marque de prime abord, c’est l’apparence ordinaire, civile, presque anonyme voire affable, des leaders du parti, fraîchement sortis de prison pour certains et de la clandestinité pour d’autres. Rien ne distingue en effet Ridha Belhadj, numéro 1 de la mouvance d’ultra droite islamiste et Lahbibi, numéro 2, d’un quelconque dirigeant d’un parti laïque. Point de barbe islamique ici ni de djellaba caricaturale à la manière de leurs pendants exilés à Londres où le parti à la franchise internationale s’est fait connaître par ses prêches de rue sulfureux appelant à la destruction de l’Occident, en Occident-même, entre autres joyeusetés usant du sacrosaint « free speech », liberté d’expression à la sauce anglo-saxonne, pour véhiculer les idées les plus haineuses.

En 2009, après des tentatives d’attentat manquées, même la Grande-Bretagne, havre de paix des extrêmes au nom du pluralisme, tenta de les interdire en soumettant leur ban au vote à l’assemblée sur proposition de David Cameron alors dans l’opposition.

Le drapeau national, un « bout de chiffon »

Cet aspect vestimentaire et physique, contrastant avec le contenu délirant des idées extrêmes, fait sens : il trahit une caractéristique essentielle de l’ultra droite. En glissant de l’extrême à l’ultra droite, l’idéologie fasciste tend à devenir paradoxalement moins religieuse qu’identitaire. C’est ce qu’on retient ainsi de la logorrhée d’Abdelmajid Lahbibi lorsqu’il fustige le drapeau-même de la Tunisie, affirmant que « tout ce que ce bout de chiffon lui évoque, c’est le symbole du partitionnement de la nation arabo-islamique, la Oumma, par les forces coloniales occidentales au siècle dernier ».

Comment en est-on arrivé là ?

Qu’est-ce qui explique la banalisation de tels propos en prime time dans une Tunisie traditionnellement connue pour son modernisme et sa modernité que tout sépare de ces idées tout droit venues du Golfe, et que la propagande TV satellitaire de chaînes wahhabites ne suffit à expliquer ?

En politique, les mécanismes qui président à l’émergence d’une ultra droite sont souvent complexes, mais obéissent à des grandes lignes universelles. Le scénario typique est celui d’une droitisation globale d’une société qui conduit fatalement à surfer pendant des années, dans le débat politique national, sur les thèmes de l’extrême droite populiste (obsession de l’identité, mélange de politique et de religion, xénophobie, anti intellectualisme, autoritarisme, etc.).

En Tunisie, cela se traduit plus récemment par l’embourgeoisement et la normalisation d’un parti comme Ennahdha, qui glisse dans la perception générale de l’extrême droite à la droite conservatrice islamiste type AKP turc, loin désormais de la rhétorique d’un FIS algérien des années 90. D’où l’espace laissé vacant à sa droite. Même scénario à Gaza par exemple, avec un Hamas qui doit mettre de l’eau dans son vin, confronté à l’épreuve de la gouvernance, et qui de facto voit apparaître des mouvements salafistes inédits. Idem en Egypte où les Frères Musulmans, après bientôt un siècle d’existence, revendiquent une mosaïque de sensibilités loin de l’image monolithique qu’on leur prête, mais qui pour autant sont tous fondamentalistes.

La responsabilité des médias

Classiquement pris entre la tentation du chiffre et de l’audience à tout prix et un certain devoir de responsabilité pédagogique et républicaine, les choix des rédactions des chaînes TV sont d’autant plus déterminants dans une société en pleine phase de transition démocratique fragile comme celle de la Tunisie post révolution et pré élections. Une fois connus du grand public, que gagne-t-on à donner plus d’une tribune, à une heure de grande écoute, au nom de la démocratie, à des idées anti démocrates, mis à part un regain de popularité ?

Placer des contradicteurs sérieux en face des extrémistes, et annoncer l’extrémisme en tant que tel en préambule des débats semblent être un minimum syndical non respecté par les chaînes faisant le pari du populisme aujourd’hui. En faisant de ces fascistes des réguliers, elles contribuent à leur banalisation et les légitiment en tant que débatteurs crédibles au même titre que n’importe quel autre intervenant politique.

Même le rap s’y met

Un malheur n’arrivant jamais seul, dernière conséquence en date du succès de ces idées flattant les plus bas instincts identitaires et xénophobes, l’apparition d’une musique particulièrement en vogue chez les plus jeunes, sorte de branche musicale du salafisme. Un rap qui a pour chefs de file de jeunes illuminés comme Mohamed Jandoubi, alias Psycho M ou encore Hamada Ben Amor, alias El Général (une des icônes de la révolution), dont la prose monotone exalte des pulsions de nostalgie mégalomaniaque de l’époque des conquêtes islamiques du temps du prophète, et appelle accessoirement au meurtre d’artistes laïques. Un comble pour une musique qui se dit « subversive »…

Seif Soudani