France. Un débat télévisé âpre, mais pas décisif
Devant 17,8 millions de téléspectateurs, François Hollande et Nicolas Sarkozy se sont affrontés lors du rituel débat de l’élection présidentielle. Un échange parfois vif et rude lors duquel chacun a cherché à mettre son adversaire au tapis à coups de chiffres et de petites phrases bien senties. (Photo AFP)
Un débat sous haute tension
Il n’y aura pas de tour de chauffe pour les deux débatteurs. Le ton est donné d’emblée, et la tension ne retombera presque pas pendant plus de deux heures et demie. De fait, les sujets de friction n’ont pas manqué.
Nicolas Sarkozy, pour reprendre une métaphore sportive, est largement mené aux points avant même de monter sur le ring. Son objectif est donc de passer rapidement à l’offensive pour chercher le K.O. À telle enseigne que les deux arbitres, Laurence Ferrari et David Pujadas, ont parfois paru dépassés par deux compétiteurs en grande forme.
De son côté, François Hollande avait sur le papier le rôle le plus facile de la soirée. Il n’en a pas moins paru concentré et déterminé à rendre coup pour coup. Mieux, de la position défensive, il est passé progressivement à l’offensive en attaquant méthodiquement le bilan du président sortant.
Il a réussi de plus à présenter un visage ferme et décidé à ceux qui raillent parfois son manque de charisme. Pointant les incohérences du mandat de Nicolas Sarkozy, et en écho à ses détracteurs qui moquent son indécision, il a répété plusieurs fois : « Moi, je ne change pas d’avis ».
Politique de relance ou « folie dépensière » ?
Au final, il y aura eu peu de nouvelles annonces du côté des programmes économiques des deux candidats, même si le sujet a occupé la majeure partie du débat. À gauche, le constat est clair : il faut relancer la croissance, et cela ne passera pas par l’austérité.
Le président candidat accuse alors son opposant de répéter en France les erreurs commises par les pays européens aujourd’hui en crise : Grèce, Espagne et Italie. C’est donc par l’allègement du coût du travail et la libéralisation du temps de travail que Nicolas Sarkozy veut relancer l’emploi.
Le modèle allemand a également été l’objet d’une longue passe d’armes, chacun y voyant une caution pour son propre programme économique. La TVA sociale a également été sous le feu du candidat socialiste, qui y voit un prélèvement supplémentaire sur les plus modestes et un cadeau aux sociétés de services et aux banques.
François Hollande réalise du même coup un hold-up sur le thème du pouvoir d’achat, cher au président sortant lors de sa campagne de 2007. Parmi les annonces du candidat socialiste, on retiendra notamment l’indexation du SMIC sur la croissance (en plus de l’inflation), l’augmentation de 25 % de l’allocation de rentrée scolaire dès 2012 et l’instauration d’une TIPP flottante pour limiter la flambée du prix des carburants.
Nicolas Sarkozy pensait certainement pouvoir piéger François Hollande sur le terrain des comptes publics et de la dette en pointant sa « folie dépensière » et son refus de la règle d’or. Il a également critiqué son intention de créer 61 000 postes dans l’Éducation nationale.
Son adversaire n’a pas manqué de lui rappeler que la pression fiscale a augmenté sur les classes populaires et que la dette s’est creusée de 600 milliards d’euros en 5 ans. À contre-pied du procès d’intention intenté par le président sortant, le candidat socialiste annonce son intention de limiter la hausse des dépenses publiques à 1 % par an (contre 2 % lors des cinq dernières années). D’autres propositions sont plus fidèles au courant de pensée socialiste : suppression de niches fiscales et augmentation de l’imposition des ménages les plus aisés.
Laïcité et droit de vote pour les étrangers pour François Hollande
En matière d’immigration, malgré l’opposition de façade, le constat est sensiblement le même : le flux doit être régulé. En revanche, les deux candidats sont en divergence sur le droit de vote des étrangers. Pour Nicolas Sarkozy, le droit de vote aux élections municipales (qu’il défendait en 2005) serait la porte ouverte aux revendications confessionnelles, notamment de la part des musulmans.
Son contradicteur rappelle que tous les étrangers ne sont pas musulmans et que de nombreux musulmans votent déjà grâce à leur nationalité française sans exprimer de demandes communautaires. Il ajoute : « Il n’y aura aucune dérogation à la laïcité sous mon mandat ».
Fessenheim au cœur du débat sur le nucléaire
Sur le nucléaire, les deux candidats se retrouvent sans l’avouer sur une position similaire faisant de l’atome le socle énergétique de la France. Le candidat UMP accuse son adversaire socialiste d’avoir « vendu » Fessenheim dans la cadre d’un « accord méprisable » avec les Verts. Il met également en avant son bilan sur le développement des énergies renouvelables en restant attaché au nucléaire, un « atout français ».
Pour le candidat de gauche, Fessenheim est la plus vieille centrale de France et est située sur une zone sismique, d’où la nécessité de sa fermeture. Ce sera, ajoute-t-il, la seule centrale fermée lors de son quinquennat. Il réaffirme son objectif de faire baisser de 75 % à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique français en 2025 grâce au développement des énergies propres.
Respect des Français contre présidence partisane
En matière de vie publique, François Hollande veut être un président respectueux des Français et annonce la parité au gouvernement. Il a ensuite attaqué la présidence partisane de son adversaire en rappelant notamment les réunions de parlementaires de la majorité à l’Élysée et les collectes de fonds de l’hôtel Bristol, que Nicolas Sarkozy a maladroitement cherché à nier.
Pour sa part, le président sortant a indiqué s’adresser tout à la fois aux indécis, aux électeurs du FN et à ceux de François Bayrou, en promettant à ces derniers le vote de la règle d’or pour limiter les déficits.
Les questions internationales auront été très peu abordées. Le retrait d’Afghanistan ne fait l’objet que d’une opposition sur les dates. À l’évacuation d’ici à la fin 2012 de François Hollande, Nicolas Sarkozy répond en défendant l’échéance de 2013 du calendrier négocié avec les alliés.
L’occasion manquée de Nicolas Sarkozy pour rattraper son retard
Au final, les deux débatteurs se sont à peu près neutralisés et ont mis en lumière des personnalités résolument différentes. C’est donc une mauvaise affaire pour le président sortant, le « candidat du rassemblement » ayant même gagné en stature grâce à sa fermeté lors de cet échange long et souvent musclé.
À quatre jours du second tour, ce rituel télévisé ne fera donc pas beaucoup changer les lignes. En gardant son avance dans l’opinion, François Hollande est le réel gagnant de ce qui peut apparaître de prime abord comme un match nul.
Rached Cherif